L’espérance ne flotte pas trop dans l’air de notre temps. La guerre a fait des millions de morts au Congo depuis des années, dans une indifférence complice, sur la base d’une logique de profit. Les guerres en Ukraine et à Gaza peuvent avoir leur part de profit (par saisie de territoires), mais obéissent à une logique de haine. Tout ceci pour ne rien de dire de l’extrême mollesse face à un réchauffement qui menace les générations futures.

Mais nous appelons la Croix unique espérance (O Crux, spes unica). Dieu fait homme nous montre une logique qui n’est ni celle du profit ni celle de la haine. Est-il raisonnable de dire à des belligérants de changer leurs logiques implacables et coulées dans le béton des vengeances réciproques ? Le Fils de Dieu n’appelle pas des légions d’anges : il se laisse tuer, aussi par amour de ses ennemis. Ce qui semble une défaite aboutit à la vraie vie.

Il y avait « œil pour œil, dent pour dent ». Cela permettrait au moins une limitation de la chaîne des vengeances. Mais l’amour de l’ennemi, et la prière pour lui, c’est la voie de la vie, tracée par celui qui est le chemin, la vérité et la vie. Que Pâques soit notre espérance !

+ Charles Morerod OP

Le 21 janvier le pape a inauguré l’année de la prière : « Les prochains mois nous mèneront à l’ouverture de la Porte Sainte, avec laquelle nous donnerons le coup d’envoi au Jubilé. Je vous demande d’intensifier la prière pour bien nous préparer à vivre cet événement de grâce et pour y faire l’expérience de la force de l’espérance de Dieu. C’est pourquoi nous commençons aujourd’hui l’Année de la prière, c’est-à-dire une année consacrée à redécouvrir la grande valeur et le besoin absolu de la prière dans la vie personnelle, dans la vie de l’Église et du monde. »[1]

 

Nous parlons de la vie de l’Église, de ses crises et de ses joies, et des attentes d’un monde inquiet. Nous ne pouvons en parler entre nous que si nous commençons par en parler à Dieu, ce qui commence par l’écouter. Notre prière commune et personnelle est notre première contribution. L’invitation de cette année est une bonne piqûre de rappel, écoutons-la !

+ Charles Morerod OP

[1] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/angelus/2024/documents/20240121-angelus.html

Nous avons vu et entendu que le groupe religieux le plus important de Suisse est désormais celui des personnes sans confession. Je ne suis évidemment pas surpris de voir la continuation d’une courbe que j’observe depuis mon adolescence, et qui était probablement déjà la part dominante de mes camarades à l’époque. Il y a à cela bien des facteurs, mais quelle est notre responsabilité ? Les abus accélèrent une évolution déjà enracinée dans le fait que nos références sont devenues étranges, voire incompréhensibles. On nous accuse parfois d’être figés dans une vision vieille de 2’000 ans. Il y a pour nous trois types de réactions possibles : 1. Un abattement résigné, 2. Un repli dans la ferveur de petits groupes, 3. Un élan missionnaire réaliste.

Cette troisième réaction sera l’objet de ma prochaine lettre pastorale (troisième dimanche de Carême) et de la prochaine session diocésaine. Quel est le motif de cet élan ? On nous dit que notre référence est enterrée au premier siècle. Nous répondons que le Christ est vivant, qu’il est beau d’être avec lui, et qu’il rassemble une communauté à laquelle il donne sa vie. Ce que les statistiques ne mettent pas en évidence, car ce n’est pas leur rôle, c’est la joie des personnes qui découvrent la foi de nos jours (je les vois, et avec grande joie). Et je me répète sans trop de scrupule : si nous ne voulons pas nous résigner à une courbe statistique, montrons des communautés vivantes où on ait envie de revenir. Et nous devons prendre conscience du redimensionnement requis pour un nouvel élan de vie.

+ Charles Morerod OP

Il n’est pas rare que je médite la dernière audience du pape Benoît XVI, le 27 février 2013.

Elle affirme la joie et la confiance : « En ce moment, il y a en moi une grande confiance, parce que je sais, nous savons tous, que la Parole de Vérité de l’Évangile est la force de l’Église, est sa vie. L’Évangile purifie et renouvelle, porte du fruit, partout où la communauté des croyants l’écoute et accueille la grâce de Dieu dans la vérité et dans la charité. Telle est ma confiance, telle est ma joie ». Je reconnais avoir un grand privilège : celui de pouvoir voir beaucoup de personnes découvrir la foi. C’est un grand encouragement. C’est la force de l’Évangile, qui est au centre de la vie de l’Église.

Le pape en partance a évidemment aussi vu les difficultés : « Il y a eu aussi des moments où les eaux étaient agitées et le vent contraire, comme dans toute l’histoire de l’Église, et le Seigneur semblait dormir. Mais j’ai toujours su que dans cette barque, il y a le Seigneur et j’ai toujours su que la barque de l’Église n’est pas la mienne, n’est pas la nôtre, mais est la sienne. Et le Seigneur ne la laisse pas couler ; c’est Lui qui la conduit, certainement aussi à travers les hommes qu’il a choisis, parce qu’il l’a voulu ainsi ».

En ce Temps de Noël et d’une nouvelle année, regardons avec foi le Fils de Dieu qui est venu. Il est toujours la Bonne Nouvelle. Demandons-lui de nous renouveler. C’est mon vœu pour nous tous.

+ Charles Morerod OP

Nous sommes tous, à nouveau, profondément frappés par des nouvelles concernant des abus sexuels. Dans mon cas, puisque ma fonction m’amène à voir à la fois le meilleur et le pire de la vie de notre Église, les nouvelles sont accentuées par des rencontres. Les remarques de victimes me touchent : « Dans l’Église, je ne reconnais pas l’Évangile ! ». Nous pouvons accueillir de telles questions, mûries au creuset de décennies de souffrance quotidienne, comme un cri prophétique. Les prophètes ont toujours dérangé … La phrase que j’aurai le plus souvent citée comme évêque est de Bossuet via Journet : « L’Église, c’est l’Évangile qui continue ». C’est la seule réponse possible pour des chrétiens, et l’Évangile n’est pas un texte dissociable de l’action.

J’ai cependant un souci qui est même plus profond. Les personnes qui voient les abus sont toutes révoltées. Chez certaines cela est toutefois parallèle avec l’expérience de ce qu’elles ont trouvé de positif dans l’Église. Très bien ! Mais la plupart n’ont pas cette expérience, qui parfois ne leur est pas vraiment accessible. Cela touche à notre communication de la foi, de plus en plus incompréhensible en raison de son éloignement par rapport à la culture ambiante, depuis des siècles mais avec une accélération impressionnante. Je prends pour moi aussi ce que la journaliste Laure Lugon Zugravu disait dans Le Temps des 25-26 novembre : « Dans les quelques mètres qui séparent le chanoine Salina des journalistes, il y a mille ans ». Je ne cite pas cela pour accuser Antoine Salina qui s’est livré courageusement à un exercice impossible, mais parce que cela nous touche tous. Comment prenons-nous la peine de parler de notre foi dans notre culture ? Quand nous ne sommes pas compris, est-ce à cause des personnes qui disent ne pas nous comprendre ? Cette question est très perceptible avec les catéchumènes : on y voit une très belle découverte, mais aussi des incompréhensions et des départs (avant ou après).

Face à l’horreur des abus, agissons honnêtement, dans un travail de fond. Mais montrons aussi, dans nos actes et nos paroles, ce que notre Église apporte de beau, de manière à ce que ce soit reconnaissable. Sinon on ne nous verra que comme négatifs.

+ Charles Morerod OP

Nous commençons ce mois par la Toussaint. Il s’agit donc de la fête de tous les saints, et notamment de ceux qui n’ont pas été canonisés et dont on ne fait mémoire à aucun autre jour de l’année. Plus largement, les saints, ce sont les baptisés. C’est ainsi que S. Paul parle, par exemple, de « tous les saints dans le Christ Jésus qui sont à Philippes » (Philippiens 1,1). Nous n’avons pourtant pas l’impression d’être de vivantes images pieuses, et ce d’ailleurs pas non plus ainsi que nous sommes perçus. On peut toutefois être saint sans correspondre à une caricature de sainteté.

La Toussaint est une belle occasion de prendre conscience du don de notre baptême. Nous y sommes nés d’eau et d’Esprit (cf. Jean 3,5). On le dit au baptême : « Vous êtes une création nouvelle dans le Christ ». Nous sommes unis à la mort et à la résurrection du Christ, nous participons à la vie même de Dieu, même si cela n’apparaît pas encore clairement. Quand on prend conscience de ce don infini, toute l’Église apparaît sous une autre lumière. Et si on confond souvent la Toussaint avec la fête des morts, ce n’est pas une erreur totale, et d’ailleurs ce n’est pas pour rien que les deux fêtes se suivent. Notre identité baptismale, qui fait de nous des « saints », nous met un pied au ciel.

Vivre le baptême implique la conscience d’être unis au Christ, à sa vie. Vivons cette belle vocation et grandissons-y : cette vocation est aussi notre contribution à la paix en ce monde qui en a tant besoin.

+ Charles Morerod OP

Nous traversons une grande tempête, le bateau est secoué violemment. Va-t-il couler ? Que pouvons-nous faire ? Sauter à l’eau et abandonner le bateau ? Le texte de l’Évangile de la tempête apaisée m’habite particulièrement ces jours : « Et voici que la mer devint tellement agitée que la barque était recouverte par les vagues. Mais lui dormait. Les disciples s’approchèrent et le réveillèrent en disant : “Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus.” » (Mt 8,23-24).

Les apôtres n’ont pas sauté à l’eau. Ils se seraient sans doute noyés. Ils ont crié vers Jésus qui était avec eux, Il a entendu leur cri de panique.

Et aujourd’hui encore le bateau secoué par d’énormes vagues continue de voguer sans prendre l’eau. Nous tentons de ramer un maximum, d’écoper l’eau et de venir à bout des voiles. Mais rien n’y fait… Effectivement, nous ne pouvons pas prendre tout en main. N’oublions pas que Jésus est dans la barque.

Une grande partie de l’équipage et des passagers restent confiants et poursuivent avec courage leur voyage, leur participation à la vie communautaire ecclésiale. Combien de témoignages de foi et de confiance me sont partagés ces jours. Ensemble nous ne pouvons que nous rappeler que le Seigneur ne nous laissera pas nous noyer dans les eaux tempêtueuses, Il est là prêt à agir. Peut-être qu’actuellement trop, c’est trop … Crier, cela fait du bien … L’orage va passer … CONFIANCE !

MERCI à tant de chrétiens qui nous partagent leur ESPÉRANCE et leur JOIE de croire !

Abbé Jean-Claude Dunand
Président du Conseil presbytéral

Il m’arrive de me demander comment j’essayerais de faire l’Église, si j’étais le diable. Et pour y répondre, je ne me contente pas de me regarder moi-même, car l’angle serait quand même trop étroit (l’angle de ma personne, pas de mon devoir de favoriser la communion). En 1941, C. S. Lewis a publié les conseils d’un diable aîné à un jeune diable sur les moyens de combattre l’Ennemi (qui, du point de vue du diable, est Dieu). Un conseil me semble mériter une attention permanente et très actuelle : « Nous voulons que l’Église soit petite, non seulement pour que moins d’hommes connaissent l’Ennemi, mais aussi pour que ceux qui le connaissent acquièrent l’intensité inquiète et l’autosatisfaction défensive d’une société secrète ou d’une clique. L’Église elle-même est, bien sûr, fortement défendue et nous n’avons jamais réussi à lui donner toutes les caractéristiques d’une faction ; mais des factions subordonnées en son sein ont souvent produit des résultats admirables, depuis les partis de Paul et d’Apollos à Corinthe… »1. Rien de tel pour éloigner de l’Église que la juxtaposition de groupes très satisfaits de leur propre perfection, sans souci d’explication aux non-initiés. Chacune de ces certitudes fait injure à la majesté divine.

+ Charles Morerod OP

1“We want the Church to be small not only that fewer men may know the Enemy but also that those who do may acquire the uneasy intensity and the defensive self-righteousness of a secret society or a clique. The Church herself is, of course, heavily defended and we have never yet quite succeeded in giving her all the characteristics of a faction; but subordinate factions within her have often produced admirable results, from the parties of Paul and of Apollos at Corinth” (C. S. Lewis, The Screwtape Letters, Collins, Fount Paperbacks, London, 1986, p.36).

Quelle est notre destinée ? La paix des cimetières ? C’est une perspective apparente, mais ce n’est pas ce que nous dit notre foi (et notre espérance) : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent » (Sagesse 1,13-14). Le Christ a donné sa vie pour que nous vivions, et on trouve une grande aide dans la compréhension de cette œuvre de rédemption en regardant la Vierge Marie. Elle commence, non sans poser de question (« Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? », Luc 1,34), par dire oui à l’incarnation, en nous engageant avec elle.

Le 15 août nous célébrons l’Assomption de la Vierge Marie, et nous y trouvons un avant-goût de ce à quoi nous sommes aussi appelés. Dans la prière d’ouverture de la messe, nous prions pour que notre regard soit tourné dans la bonne direction, que nous soyons « toujours tendus vers les réalités d’en haut ». La préface affirme qu’en voyant la Vierge Marie nous découvrons ce que nous sommes, ce qu’est l’Église : « Elle est le commencement et l’image de ce que deviendra ton Église en sa plénitude, elle est signe d’espérance et source de réconfort pour ton peuple encore en chemin. »

N’oublions pas de regarder la Vierge Marie, si nous voulons connaître l’Église que nous sommes !

+ Charles Morerod OP

En ce début d’été, je vais me contenter de vous citer S. Thomas d’Aquin traitant de l’eutrapélie : « De même que l’homme a besoin d’un repos physique pour refaire les forces de son corps qui ne peut travailler de façon continue, car il a une vigueur limitée, proportionnée à des travaux déterminés, il en est de même de l’âme, dont la vigueur aussi est limitée, proportionnée à des œuvres déterminées. Et c’est pourquoi, quand elle se livre à l’activité en dépassant la mesure, elle peine et par suite se fatigue ; d’autant plus que, dans les œuvres de l’âme, le corps travaille en même temps, puisque l’âme, même intellectuelle, se sert de facultés qui agissent par les organes du corps. (…) Le repos de l’âme, c’est le plaisir (…). C’est pourquoi il faut remédier à la fatigue de l’âme en s’accordant quelque plaisir, qui interrompe l’effort de la raison. Dans les Conférences des Pères on peut lire que S. Jean l’Évangéliste, comme certains s’étaient scandalisés de l’avoir trouvé en train de jouer avec ses disciples, demanda à l’un d’eux qui portait un arc de tirer une flèche. Lorsque celui-ci l’eut fait plusieurs fois, il lui demanda s’il pourrait continuer toujours. Le tireur répondit que, s’il continuait toujours, l’arc se briserait. S. Jean fit alors remarquer que, de même, l’esprit de l’homme se briserait s’il ne se relâchait jamais de son application » (Somme de théologie, IIa IIae, question 168, article 2).

Je vous souhaite donc un bon repos !

+ Charles Morerod OP

J’ai reçu des commentaires variés à propos d’un article de La Croix du 26 mai : JMJ : « Les jeunes catholiques ont renoncé à un consensus avec les valeurs dominantes ».

Certes cet article concerne la France, qui est très proche mais aussi différente sur certains points directement liés à cette thématique : les catholiques s’y sentent plus souvent rejetés par le pouvoir (peut-être à juste titre), alors que c’est peu le cas dans une Suisse qui n’a pas été marquée par une Révolution. Il y a eu en Suisse un Kulturkampf et des tensions confessionnelles, mais cela appartient largement à un passé dont on s’est guéri. Nous courons peut-être le risque inhérent à un consensus trop paisible…

Les questions posées par l’article nous concernent aussi car un équilibre doit être trouvé entre deux exigences évangéliques.

D’une part la Bonne Nouvelle nous dépasse vraiment et ne vient pas de nous, donc on ne peut pas la déduire d’un consensus culturel momentané : « Nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Corinthiens 2,9). Notre culture porte déjà la marque de l’Évangile, mais elle n’est pas l’Évangile et sans une annonce répétée et sans cesse approfondie le sel s’y affadira (cf. Matthieu 5,13). Jésus ne cherche pas nécessairement un consensus universel. Il peut traiter ses interlocuteurs de « Génération mauvaise et adultère ! » (Matthieu 12,39). Il n’est pas « venu apporter la paix, mais le glaive » (Matthieu 10,34). Nous ne pouvons pas partir du principe que ce que dit le fougueux S. Paul ne s’applique pas à notre temps : « Proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d’instruire. Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables » (2 Timothée 4,2-4).

D’autre part nous ne pouvons pas faire comme si Dieu était absent de la vie des personnes qui ne font pas partie d’un petit groupe que nous avons défini en nous y plaçant. S. Paul arrivant à Athènes ne se retrouve pas dans un milieu qui lui est cher : « Tandis que Paul les attendait à Athènes, son esprit s’échauffait en lui au spectacle de cette ville remplie d’idoles » (Actes 17,16). Pourtant il aborde les Athéniens de manière positive et indique même chez eux une certaine connaissance (certes confuse) de Dieu : « Debout au milieu de l’Aréopage, Paul dit alors : “Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec l’inscription : au dieu inconnu. Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer » (Actes 17,22-23). Jésus nous a invités à regarder positivement ceux qui ne sont pas « avec nous » : « Jean prit la parole et dit : “Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, et nous voulions l’empêcher, parce qu’il ne suit pas avec nous.” Mais Jésus lui dit : “Ne l’en empêchez pas ; car qui n’est pas contre vous est pour vous.” » (Luc 9,49-50). Il y a un moment de repli frileux chez les disciples, mais c’est avant la venue de Jésus ressuscité et avant la Pentecôte : « Les portes étant closes, là où se trouvaient les disciples, par peur des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit : “Paix à vous !” » (Jean 20,19).

Une tentation est de nous constituer en une forteresse craintive, qui serait perçue comme méprisante par les personnes « éloignées » de l’Église (et Dieu seul sait si elles le sont vraiment, ou si ce ne serait pas nous…). Nous risquerions alors de passer à côté de notre devoir de leur annoncer que Dieu les aime, que le Christ a donné sa vie pour elles. Je me sens un peu tenu par mon prédécesseur S. François de Sales : « Soyez le plus doux que vous pourrez, et souvenez-vous que l’on prend plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec cent barils de vinaigre. S’il faut donner en quelque excès, que ce soit du côté de la douceur. » (Si quelqu’un me trouve la référence, merci).

+ Charles Morerod OP

P.S. Sœur Anne-Françoise, supérieure des Visitandines à Fribourg, m’a signalé que la citation n’était pas de S. François de Sales, quand bien même on y trouve des ressemblances avec ses expressions. Elle ne figure pas dans l’édition d’Annecy (26 volumes). Ce proverbe se trouve chez « G. Torriano’s » en 1642, petite collection de 650 proverbes.

Être chrétien implique de croire que Dieu s’est révélé à nous (la plénitude de la révélation étant la personne de Jésus-Christ), et de transmettre cette révélation. Or il est assez clair que la transmission est actuellement difficile. Il y a à cela beaucoup de causes, comme un éloignement progressif de la culture ambiante par rapport aux catégories dans lesquelles la foi est exprimée, ou notre témoignage insuffisant, etc.

 

Je voudrais relever deux aspects de la question, à la lumière du Concile Vatican II. Le premier texte publié par ce concile a été la Constitution sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, du 4 décembre 1963. Ce texte montre le lien entre la liturgie et la Bible, en disant par exemple : « pour procurer la restauration, le progrès et l’adaptation de la liturgie, il faut promouvoir ce goût savoureux et vivant de la Sainte Écriture dont témoigne la vénérable tradition des rites aussi bien orientaux qu’occidentaux » (§ 24). Si la liturgie est souvent incomprise, c’est aussi parce que la Bible est très peu connue : dès lors les « réminiscences » bibliques dont la liturgie abonde sont aussi incompréhensibles. Bible et liturgie vont de pair dans l’initiation à la foi. Et j’ai été très surpris (et heureux) des retours d’une récente prédication où j’ai dit cela, qui me semblait pourtant assez évident.

 

Dei Verbum, la constitution du Concile Vatican II sur la révélation divine (18 novembre 1965), indique que la manière de se révéler choisie par Dieu « comprend des actions (gestis) et des paroles intimement liées entre elles, de sorte que les œuvres, accomplies par Dieu dans l’histoire du salut, attestent et corroborent et la doctrine et le sens indiqués par les paroles, tandis que les paroles proclament les œuvres et éclairent le mystère qu’elles contiennent » (§ 2). Je trouve un écho anticipé de cette phrase dans l’encyclique Ecclesiam Suam de Paul VI (6 août 1964) : « Le mystère de l’Église n’est pas un simple objet de connaissance théologique, il doit être un fait vécu dans lequel, avant même d’en avoir une notion claire, l’âme fidèle peut avoir comme une expérience connaturelle » (§ 39). On découvre ce qu’est la vie chrétienne non seulement par des paroles, ni seulement par la Parole (sur laquelle je viens d’insister), mais aussi par l’expérience d’une immersion dans la vie de la communauté chrétienne. La liturgie joue ici un rôle capital, mais pas isolé. Il faut aussi que l’on puisse percevoir les fruits de la foi. Je reste marqué par une rencontre avec des personnes qui sont venues à l’évêché avec des responsables de la pastorale de rue. Un des commensaux a alors dit (aimablement, mais sérieusement) que quand on parle dans l’Église de « communion » il entend « exclusion », parce que le regard des autres lui suggère qu’il n’est « pas assez bien ». En d’autres termes, il entend de belles paroles, mais sans les gestes qui devraient les accompagner, et ces paroles non seulement ne sont pas reçues, mais elles en sont quasiment incompréhensibles. Dans toute la vie de l’Église, les deux doivent aller de pair. Quand ce n’est pas le cas, il n’y a pas de transmission de la foi.

+ Charles Morerod OP

Il est clairement évident en ce moment que le monde a besoin d’espérance. Je suis particulièrement triste de ce que j’entends sur les déprimes de la jeunesse, et les expériences de plus en plus dures des personnes qui encadrent les jeunes. Or nous avons un message d’espérance. Comment le transmettre ? Comment rendre perceptible ce qui semble d’autant plus habituel que le calendrier est répétitif ? Pâques arrive chaque année et peut être habituellement perçu comme un nom de vacances…

Puisque « la Révélation comprend des actions et des paroles intimement liées entre elles » (Vatican II, Constitution Dei Verbum, 2), n’oublions pas qu’il ne suffit pas de dire Pâques. Il faut aussi le montrer, et la fête de la résurrection apparaît mieux dans le cadre du Triduum pascal. Puisque « l’Église, c’est l’Évangile qui continue » (je me répète tellement que je ne donne plus la référence), montrons nous-mêmes le mouvement du Triduum : la résurrection apporte sa lumière et sa consolation aux personnes dont on a d’abord lavé les pieds et qui ont vu l’amour jusqu’à la croix.

Donc : Joyeuses Pâques, et que notre pâque se répande.

+ Charles Morerod OP

Le carême commence par un jeûne, nous invite à continuer 40 jours dans une perspective de vie simple, recentrée sur Dieu et le partage. Certes nous voyons la limite de « bonnes résolutions » ou de jeûnes à motivation autocentrée (c’est bon pour la santé, même si la perspective de partage n’est guère prise en considération), mais en fait comment vivre ce carême ?

Une perspective claire nous est donnée au début du carême, en rappel d’une introduction à des normes : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lévitique 19,2). Si nous nous reprenons et nous recentrons pendant le carême, ce n’est pas seulement pour être davantage avec Dieu, mais pour être comme lui. C’est d’ailleurs en étant comme lui que nous pensons au partage, puisque nous aimons les personnes que Dieu aime.

Soyons saints parce que Dieu est saint. Cela semble un idéal hors de notre portée, ou alors on pensera que quelques individus faits autrement que nous y parviennent. En fait personne n’est fait de telle manière qu’il puisse être saint, saint comme Dieu, à la force de ses bonnes résolutions. Si Dieu nous le demande, c’est que c’est possible, parce qu’il sait que « rien n’est impossible à Dieu » (Luc 1,37).

La liturgie nous aide à comprendre le carême. C’est le cas de la prière d’ouverture de la messe du jeudi après les cendres (les oraisons du mercredi des cendres étant plus centrées sur la particularité du jour que sur celles du temps) :

« Que ta grâce inspire et précède notre action (…), qu’elle la soutienne et l’accompagne, pour que toutes nos activités trouvent leur source en toi et reçoivent de toi leur achèvement » : le carême ne consiste pas seulement à se détourner de sources de bonheur illusoires ou incomplètes, mais à s’en remettre à Dieu. Comptons sur sa grâce tout au long du parcours. Il ne nous abandonne pas, parce qu’il nous aime, et le carême est motif de joie. Si on le saisit, on n’a pas besoin d’arborer une face de carême : la joie manifeste mieux le don de Dieu !

+ Charles Morerod OP

Alors qu’un code de conduite est introduit dans la partie germanophone de la région diocésaine de Fribourg (Deutschfreiburg), je me rappelle de ce qu’avait dit une agente pastorale dans une rencontre sur les abus sexuels, à Lausanne : « Quand nous recevons quelqu’un pour parler de questions spirituelles, nous devons toujours nous demander si nous cherchons sa liberté ».

Cela m’avait frappé et m’a fait penser à John Henry Newman, qui a été canonisé en même temps que Marguerite Bays (ce qui avait été une grande joie pour moi). Quand Newman a quitté Oxford pour aller méditer à Littlemore sur son évolution personnelle, des étudiants (dont il était l’aumônier) ont voulu le suivre. Il ne l’a pas accepté, et commente ainsi cette situation : « Mon grand principe a toujours été “vivre et laisser vivre”. Je n’ai jamais eu le calme ou la dignité nécessaires à un leader. Jusqu’à la fin, je n’ai jamais reconnu l’emprise que j’avais sur les jeunes hommes. Ces dernières années, j’ai lu et entendu qu’ils m’imitaient même de diverses manières. J’étais tout à fait inconscient de cela, et je pense que mes amis immédiats savaient trop bien à quel point je serais dégoûté par la nouvelle, pour avoir le cœur de me le dire » (Apologia pro vita sua, Part 4. History of My Religious Opinions <from 1833 to 1839>).

Dieu nous laisse libres pour que nous puissions décider de répondre à son amour. Cela ne doit pas déboucher sur une spiritualité de la photocopieuse, où tout le monde aurait le même sourire.

+ Charles Morerod OP

En priant pour lui, je tiens à exprimer ma reconnaissance pour le ministère de Benoît XVI au service de l’Église universelle. Je vais le faire en citant trois textes et deux anecdotes personnelles.

Le 24 septembre 2011, à Fribourg en Brisgau, Benoît XVI parle de la situation de l’Église en Allemagne (mais nous pouvons nous sentir concernés) : « En Allemagne, l’Église est organisée de manière excellente. Mais, derrière les structures, se trouve-t-il aussi la force spirituelle qui leur est relative, la force de la foi au Dieu vivant ? Sincèrement nous devons cependant dire qu’il y a excédent de structures par rapport à l’Esprit. J’ajoute : la vraie crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à un véritable renouvellement de la foi, toute la réforme structurelle demeurera inefficace. »[1] Le renouvellement de la foi implique de reconnaître ce qu’est la vie chrétienne.

Quelle est en fait la racine de la vie chrétienne ? Au début de sa première encyclique – texte programmatique – Benoît XVI indique un point que le pape François reprendra sans cesse et qui me semble absolument central : « Nous avons cru à l’amour de Dieu : c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Encyclique Deus caritas est, 25 décembre 2005, § 1)[2]. Si on aborde l’Église d’abord à partir de la morale, ou à partir des structures, on ne sait pas ce qu’elle est. On ne la comprend qu’à partir du Christ, et ensuite il y a des certes des conséquences morales, et une structure de la communauté qu’il a fondée.

Or on a vu le cardinal Ratzinger comme un homme d’appareil, un défenseur aussi des structures. Certes il a rempli consciencieusement la mission qui lui avait été confiée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, mais en connaissant la signification réelle des structures. Il l’explique dans un texte passé trop inaperçu de son encyclique Spe Salvi du 30 novembre 2007 : « La condition droite des choses humaines, le bien-être moral du monde, ne peuvent jamais être garantis simplement par des structures, quelle que soit leur valeur. De telles structures sont non seulement importantes, mais nécessaires ; néanmoins, elles ne peuvent pas et ne doivent pas mettre hors-jeu la liberté de l’homme. Même les structures les meilleures fonctionnent seulement si, dans une communauté, sont vivantes les convictions capables de motiver les hommes en vue d’une libre adhésion à l’ordonnancement communautaire. La liberté nécessite une conviction ; une conviction n’existe pas en soi, mais elle doit toujours être de nouveau reconquise de manière communautaire » (§ 24)[3]. Cela vaut de toute structure, donc aussi de celles de l’Église. Celles-ci ont leur valeur en soi, mais comme la foi elles sont proposées à une libre adhésion, car sinon elles seraient inadaptées à l’être humain. Et quand on ne connaît ou ne comprend pas ces structures, on ne peut pas y adhérer librement, et on s’en détourne.

Il reste deux anecdotes que j’estime significatives. Alors que j’attendais quelqu’un avec mon confrère dominicain Georges Cottier, arrive le cardinal Ratzinger. Le P. Cottier me présente d’une manière qui m’a parue un peu trop bienveillante, et je dis au cardinal : « Ne croyez pas tout ce qu’il dit ». Le cardinal Ratzinger m’a répondu, presque fâché : « Non ! Lui, il dit toujours la vérité ! » J’ai pu vérifier par la suite les deux implications de cette affirmation : il aime la vérité et il n’aime pas les flatteurs (le P. Cottier lui disait aussi quand il n’était pas d’accord).

Plus tard, je me suis trouvé dans un jury qui devait attribuer un prix à une thèse. Le cardinal Ratzinger, président du jury, m’a dit qu’il n’avait pas assez bien fait son travail (sic) et m’a demandé ce que je pensais des deux écoles historiques qui parlent de l’obligation du célibat des prêtres dans l’Église latine : celle (qui était plus ou moins la seule il y a 50 ans) qui en situe l’apparition vers le XIe s. et celle, développée plus récemment, qui estime qu’on visait cette discipline depuis le début mais avec un succès limité. Et le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a précisé : « Je ne sais vraiment pas que penser de cette question ». Là, et j’en aurais d’autres exemples, j’ai été frappé par l’humilité de ce théologien qui, en fait, connaissait la question bien mieux que celui à qui il la posait et qui disait son hésitation sur une question assez sensible de la vie de l’Église. Quand il a démissionné, j’ai revu cette humilité et son sens du service.

Je prie pour lui avec grande reconnaissance, et je compte sur les lecteurs de ce mot pour faire de même.

A part ça, demandons à Dieu de mettre la paix dans les cœurs (racines de nos actes), pour que l’année 2023 puisse être bonne.

+ Charles Morerod OP

[1] https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2011/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20110924_zdk-freiburg.html

[2] https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20051225_deus-caritas-est.html

[3] https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20071130_spe-salvi.html

Nous nous apprêtons à fêter Noël. 60 ans après le début du Concile Vatican II, j’aimerais méditer sur cette fête à l’aide de ce concile.

Le titre de la Constitution dogmatique sur l’Église (Lumen gentium), du 21 novembre 1964, montre la place que l’Église reconnaît au Christ : « Le Christ est la lumière des peuples ; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église » (§ 1). L’affirmation centrale est bien sûr que le Christ est la lumière des peuples, ce qui nous amène aussi à ne pas penser qu’à nous qui sommes croyants, mais à le faire connaître. Il y a ensuite une affirmation dont la réception est aujourd’hui obscurcie, à savoir que « la clarté du Christ (…) resplendit sur le visage de l’Église » : ce n’est pas évident, mais nous y reconnaissons notre vocation. Jésus n’est pas resté dans la crèche, il a fondé une communauté. Demandons-lui qu’on puisse le voir en nous ! Rendons-nous disponibles par la totalité de notre vie !

Beaucoup ne voient pas ce que l’incarnation du Fils de Dieu a apporté, ni ce que l’Église pourrait apporter de nos jours. A force de vouloir que notre main gauche ignore ce que fait notre main droite (cf. Matthieu 6,3), nous finissons par ne pas faire voir nos apports dans de nombreux domaines.

Le Concile montre l’apport central de l’incarnation, en illustrant en quoi le Christ est la lumière. Une question primordiale pour nous, certes désormais avec un sens croissant de notre interdépendance avec le reste de la création, est la connaissance de ce que nous sommes. Cette question est abordée par la Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes, 7 décembre 1965) : « Qu’est-ce que l’homme ? Sur lui-même, il a proposé et propose encore des opinions multiples, diverses et même opposées, suivant lesquelles, souvent, ou bien il s’exalte lui-même comme une norme absolue, ou bien il se rabaisse jusqu’au désespoir : d’où ses doutes et ses angoisses. Ces difficultés, l’Église les ressent à fond. Instruite par la Révélation divine, elle peut y apporter une réponse » (§ 12.2). Eh bien, quelle est cette réponse ? « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (Gaudium et Spes, § 22.1). Nous pouvons parler de bien des choses et aussi faire bien des choses, mais nous passons à côté de ce que nous sommes appelés à être si nous ne montrons pas le Christ, dans la conviction que tout être humain est invité à le connaître avec l’aide de Dieu : « [P]uisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes, § 22.5).

Dans cette perspective, Joyeux Noël !

+ Charles Morerod OP

Du 24 au 28 octobre, nous avons vécu une belle retraite des prêtres, à Valpré (Lyon). Le prédicateur, Mgr Nicolas Aubertin, cistercien, ancien archevêque de Tours et actuel aumônier de La Maigrauge (moniales cisterciennes, à Fribourg), a parlé de certains aspects de la vie du prêtre, y compris des difficultés. La retraite a été une très belle occasion de fraternité, entre des personnes qui souvent ne se connaissaient pas. J’en suis revenu très heureux.

Mgr Aubertin nous a présenté un texte du Père René Voillaume adressé aux Petits Frères de Jésus, « Le second appel » (publié dans ses Lettres aux fraternités, aux éditions du Cerf en 1960). Ce texte n’a pas vieilli parce qu’il aborde un point qui ne dépend pas que des circonstances. Certes les circonstances actuelles ne facilitent pas la vie du prêtre, ni d’ailleurs l’annonce de l’Évangile en général, et elles peuvent ainsi accentuer une difficulté inhérente à la vie de foi. Mais cette difficulté est présente dans la vie de foi, et il est frappant que des saints d’époques différentes (S. François d’Assise, Ste Thérèse de Lisieux, Mère Teresa…) aient vécu des nuits de la foi.

Le « second appel » dont René Voillaume parlait aux Petits Frères est une étape de la vocation, qui concerne aussi les prêtres et est au cœur du dynamisme de la vie chrétienne : « Le risque de la durée est pour nous, comme pour toute entreprise humaine, celui d’une certaine usure de l’idéal poursuivi et de l’effort fourni pour le réaliser, usure qui nous amènerait à prendre notre parti de la médiocrité dans la sainteté ». Si on ne veut pas se décourager ou se résigner à une forme d’amertume, on doit faire un saut à partir de l’illusion que nous pouvons tout gérer par nos propres forces. Le P. Voillaume présente la radicalité de la question : « Si nous n’abordons pas franchement cette étape, cette prise de conscience de l’impossibilité radicale pour les forces humaines de vivre une vie religieuse surnaturelle, et de servir le Christ avec sa croix, nous risquons fort, soit de tomber dans un découragement larvé, soit de nous illusionner en rabaissant notre idéal à un niveau acceptable, vivable, possible en un mot. (…) Vraiment, Jésus nous fait expérimenter jusqu’au bout, et d’une manière inattendue, l’impossibilité de suivre le chemin sur lequel il nous a engagé ! » Lorsque Mgr Aubertin nous présentait ce texte, la qualité de l’écoute dans la salle était palpable : nous nous sommes retrouvés dans cette question, et la constatation de cette expérience commune dans la foi était en soi un encouragement un peu paradoxal. Si nous ne nous en remettons pas à Dieu, notre vie de prêtres change de nature, et ne remplit pas de joie. Mais Dieu ne nous demande pas l’impossible, puisqu’il agit lui-même.

Jésus nous montre une impossibilité surmontable par l’action de Dieu, et cela inclut toute la vie chrétienne : « ‘Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux.’ Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits : ‘Qui donc peut être sauvé ?’ Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit : ‘Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible’ » (Mt 19,24-26).

Je suis frappé, notamment en rencontrant des confirmands, de voir la très forte augmentation de l’inquiétude par rapport à l’avenir. Nous ne pouvons pas l’ignorer en faisant semblant de croire que tout va bien, avec un sourire factice. Mais la sagesse de la croix se révèle dans toute vie chrétienne qui n’a pas peur de faire confiance à Dieu : une situation apparemment impossible contient déjà la lumière de la résurrection. Si nous vivons votre parcours spirituel, nous pouvons vraiment être témoins d’espérance.

+ Charles Morerod OP

Dans des lettres de confirmands je vois souvent dire : « Je prie quand j’ai besoin de quelque chose ». Dans des discussions sur le processus synodal, j’entends assez souvent que l’on doit proposer aux gens de se poser la question « Qu’est-ce que ça m’apporte d’aller à l’église ? » Rien de tout cela n’est absurde, évidemment, mais c’est tout de même incomplet. On devrait aussi envisager une perspective en sens inverse. C’est ce que relevait le philosophe bouddhiste japonais Keiji Nishitani en 1961 à propos de la religion : « Du point de vue de l’essence de la religion, c’est une faute de demander ‘Quel est le but de la religion pour nous ?’ Et c’est une question qui laisse clairement percevoir une attitude de recherche de compréhension de la religion indépendamment de la quête religieuse. C’est une question qui doit être remplacée par une autre question qui vient de l’intérieur de la personne qui la pose. Il n’y a pas d’autre chemin qui puisse conduire à une compréhension de ce qu’est la religion et du but auquel elle sert. La contre-question qui opère cette rupture est celle qui demande : ‘Dans quel but est-ce que j’existe ?’ Nous pouvons demander le but pour nous de tout le reste, mais pas de la religion. (…) La religion dérange la position depuis laquelle nous nous pensons nous-mêmes comme la fin et le centre de toutes choses. A la place, la religion pose comme point de départ la question : ‘Dans quel but est-ce que j’existe ?’ » (traduit à partir de la traduction anglaise, Religion and Nothingness, University of California Press, Berkeley – Los Angeles – London, 1982, p.2-3).

Traduite en langage spécifiquement chrétien, le point de départ de Nishitani serait ce que nous disons à notre Père : « Que ta volonté soit faite ». C’est ce qui opère en nous un décentrement sans lequel les relations interpersonnelles risquent toujours d’aboutir à la violence, comme nous en avons trop d’exemples. De ce point de vue, on peut reprendre la question « Qu’est-ce que ça m’apporte d’aller à l’église ? », en signalant que c’est justement l’inversion de cette question qui est la grande contribution de l’Église à la paix entre êtres humains et avec l’ensemble de la nature.

+ Charles Morerod OP

Nous avons été assez nombreux à participer à la session sur la synodalité organisée à Fribourg les 29 et 30 août par le Centre Romand de Formations en Église. Le professeur Christophe Chalamet (Faculté de Théologie de Genève) a adapté une phrase du P. Thomas Merton : « La vocation du (synode} dans le monde moderne, ce n’est pas la survie, mais la prophétie. Nous passons beaucoup trop de temps à vouloir ‘sauver les meubles’ ». Il ne s’agit pas là que de « synode », mais de toute la vie de notre Église, au moins chez nous. Sr Nathalie Becquart nous dit avoir observé que le processus synodal change la dynamique de l’évangélisation, quand on part du principe que le Saint Esprit est déjà présent chez les personnes avec qui on entre en relation. Ces deux éléments, que je retiens parmi bien d’autres, indiquent le mouvement confiant et positif auquel nous sommes invités dans un monde dont les nombreuses inquiétudes invitent souvent à un repli dans des carapaces. Je suis heureux que nous marchions ainsi ensemble.

+ Charles Morerod OP

Nous voyons les commentaires variés du voyage du pape au Canada. Il pose des questions qui concernent d’abord les Canadiens : au Québec en particulier les écoles catholiques ont transmis une éducation pendant des siècles (les religieuses catholiques assurant la plus grande partie de l’éducation des filles) et y ont jeté les bases d’une société où la valeur de la personne humaine, fondée dans la création, est reconnue. En même temps, aussi comme instrument de l’État et avec une large approbation de la société, des établissements religieux (en majorité catholiques) ont exercé de graves formes de violence (culturelle, sexuelle, « médicale » par négligence) dont l’impact est colossal et pour lesquelles le pape demande pardon. Évidemment, cela ne concerne pas que le Canada. Nous observons tout cela avec du recul, et j’espère que nous sommes en même temps conscients que nos propres actes seront observés et commentés à l’avenir : nous avons un impact immédiat sur certaines personnes, à long terme sur d’autres.

Quant au fait que le pape se couvre de plumes (comme l’avait fait Jean-Paul II au Tchad en 1990), il suscite des appréciations variées. Certains disent que le pape est un clown. Réfléchissons un instant. D’une part, le pape va respectueusement vers des personnes dont la culture avait été méprisée. D’autre part, l’histoire de l’Église montre la confiance de celle-ci dans son contact avec des cultures variées : c’est pourquoi, par exemple, l’Église a plus ou moins renoncé à célébrer à Rome la messe dans la langue qui y était traditionnelle, à savoir le grec (qui n’était d’ailleurs pas la langue usuelle de Jésus) au profit du latin, quand le grec y était devenu trop inconnu. D’ailleurs, je sais que la mitre du pape (j’en porte aussi une) est le résultat d’un contact entre l’Évangile et des coutumes d’un temps et d’un lieu …

En tout ceci, ce que je vois, c’est l’attitude de Jésus (bon, c’est moins évident pour la mitre), et j’en suis reconnaissant. J’espère que c’est notre désir commun.

+ Charles Morerod OP

Avant les vacances, je voudrais d’abord vous souhaiter de pouvoir prendre un repos nécessaire. J’ajoute que de mon côté j’ai pris conscience l’année passée de la nécessité de plus de repos, parce que je suis revenu plus fatigué que je n’étais parti, et je suppose qu’il faut tenir compte de l’âge. Soyons attentifs à ne pas remarquer trop tard la charge de fatigue. Du moment que je parle à première personne, j’ajoute que j’ai décidé de prendre des mesures plus radicales pour être au moins un jour par semaine à l’évêché (pour y travailler sans rendez-vous, parce qu’actuellement les rares jours que je passe à l’évêché sont des enchaînements de rendez-vous), pour que les retards ne s’accumulent pas, et que j’ai décidé que je n’accepterais plus d’engagement extérieur le mardi : il me semble utile de vous en informer, et en même temps de vous demander pardon pour trop de retards que vous pouvez percevoir comme des manques d’attention.

Lors de l’enterrement de l’abbé Paul Dévaud, l’abbé Martial Python a cité une très belle anecdote reçue d’une des sœurs du défunt (nous savons leur proximité). Il y a quelques années, l’abbé Dévaud se trouvait avec ses sœurs dans le train, et deux jeunes à côté d’eux parlaient de la mort. L’un des jeunes essayait de convaincre l’autre qu’après la mort on voit une grande lumière au bout d’un tunnel. A un moment donné les deux jeunes se sont tournés vers l’abbé Dévaud et lui ont demandé ce qu’il pensait de la question. Il a répondu (sans doute assez précise, bien que passant par trois mémoires) : « Moi, voir quelque chose (lumière), ça ne m’intéresse pas. Je veux voir quelqu’un. Et je sais qui c’est : Jésus-Christ. Et il est déjà là, et c’est beau ! » Je trouve que cette réponse, dont la spontanéité exprime la vie et la prière de la personne, est un excellent résumé de la foi chrétienne.

+ Charles Morerod OP

Le 30 mai a eu lieu à Einsiedeln une journée nationale du processus synodal, en lien avec les processus diocésains (passés et futurs), en vue du processus européen et du processus romain. La journée a été marquée par un sens d’espérance, selon des tonalités variables. Parmi tout ce qui a été dit, je m’arrête sur un point : la situation de crise actuelle, relevée largement dans les réponses à la consultation synodale, montre que nous sommes presque forcés de remettre notre vie et notre action dans les mains de Dieu. Cette réflexion n’est pas un triomphalisme inversé, mais le simple rappel que « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Psaume 126 [127],1).

L’histoire du Salut nous montre comment Dieu part de ce qui est faible et n’aurait pas semblé pouvoir être un point de départ. Jésus peut se présenter comme « le rejeton, le descendant de David » (Apocalypse 22,16) et comme « l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Apocalypse 22,13). Il est bien clair que le Fils de Dieu est le commencement « avant » d’être le descendant de David, mais qu’est-ce que cela signifie pour David ? Tout d’abord le peuple avait demandé un roi, et Dieu a dit à Samuel : « Écoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent : ils ne veulent pas que je règne sur eux » (I Samuel 8,7). L’institution d’un roi n’était pas « prévue »… Après l’échec de Saül, Dieu envoie le prophète Samuel chez Jessé, qui n’avait même pas pensé à présenter son fils David (cf. I Samuel 16,11). Dieu choisit un roi suite à une demande « importune » et David devient roi alors que même son père n’avait pas pensé à le présenter au prophète. Le rôle de David présupposait donc qu’il y ait un roi et ensuite que ce soit lui : la Bible ne nous le présente pas comme le fruit prévisible de statistiques antérieures. Et tout ceci dans un peuple élu parmi d’autres plus grands : « Si le Seigneur s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous » (Deutéronome 7,7). Et au bout du compte le Fils de Dieu fait homme est descendant de David (par Joseph qui est son père adoptif…), et il est acclamé comme Fils de David juste avant de se faire tuer (cf. Matthieu 21,9).

Pourquoi dire tout cela ? Dieu attire notre attention sur le fait que nos prévisions et nos planifications – pour utiles qu’elles soient – ne nous permettent pas d’anticiper l’histoire du Salut. Si nous devions compter sur nos planifications, notre annonce de la Bonne Nouvelle serait quelque peu assombrie. Mais nous comptons sur Dieu, et nous réjouissons de la présence du Saint Esprit ! Sans cet acte de foi et d’espérance, ce n’est pas d’un processus synodal que nous devrions parler.

+ Charles Morerod OP

ll n’échappe à personne qu’après deux ans de pandémie nous nous trouvons confrontés à un risque de guerre mondiale, tout ceci avec la perspective que la terre devienne invivable. Qu’avons-nous à apporter en tant que chrétiens dans cette situation ?

Nous pouvons certes, en fonction de nos compétences, ajouter nos analyses à toutes celles qui sont déjà proposées et qui ne dépendent pas fondamentalement d’un point de vue religieux. Cela peut être utile. Mais avons-nous une contribution spécifique ? Sur la question écologique, l’encyclique Laudato Si’ avait insisté sur l’importance des motivations spirituelles ; c’est en effet fondamental, et pas seulement dans ce domaine. Ce n’est pas la même chose de croire ou ne pas croire que le Fils de Dieu s’est fait homme, est mort et ressuscité pour que nous ayons la vie.

Non seulement notre foi et notre espérance nous permettent d’affronter la mort, elles nous permettent aussi d’affronter la vie avec un regard positif, qui est d’abord un regard sur le Christ. Or le mois de mai commence par le troisième dimanche de Pâques, avec cette triple question de Jésus à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (Jean 21,15-17). Cette question est au centre de la vocation de Pierre et de ses successeurs, et elle est la seule condition explicite posée par Jésus. Elle est donc aussi la condition centrale de notre propre apport de chrétiens. Si nous aimons Jésus-Christ, si nous le remercions de sa présence et l’adorons, alors nous avons la base de notre regard sur les personnes que Jésus aime. Nous voyons que nous ne sommes pas au centre du monde et nous nous donnons avec lui. C’est ce qui oriente nos relations avec notre prochain et donc aussi avec les générations futures.

+ Charles Morerod OP

Nous sommes encore, et nous resterons, en processus synodal. Un point central qui ressort de ce processus dans notre diocèse est que nous sommes appelés à prendre conscience de notre baptême, et à nous regarder mutuellement d’abord sous cet angle. Cela me fait venir à l’esprit le sermon de S. Léon le Grand lu à l’office des lectures de Noël (mais cela vaut aussi à Pâques) : « Chrétien, prends conscience de ta dignité. Puisque tu participes maintenant à la nature divine, ne dégénère pas en venant à la déchéance de ta vie passée. Rappelle-toi à quel chef tu appartiens, et de quel corps tu es membre. Souviens-toi que tu as été arraché au pouvoir des ténèbres pour être placé dans la lumière et le royaume de Dieu. Par le sacrement de baptême, tu es devenu temple du Saint-Esprit ».

Nous fêtons Pâques dans un monde en recherche d’espérance, et qui regarde de notre côté. Visons-y notre baptême ! « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,13-15).

Joyeuses Pâques ! Et que la lumière de notre cierge baptismal brille en nous comme espérance et consolation de la résurrection !

+ Charles Morerod OP

On se demande quel est l’avenir du monde et de l’Église. Je m’arrête sur deux aspects assez différents de cette question : la guerre qui reprend en Europe (elle ne s’est jamais arrêtée par exemple au Congo, ou au Proche-Orient…), et le processus synodal.

Jacques Maritain, dans un livre dédié à Journet, méditait ainsi sur la liberté divine et la liberté humaine : « Quoi qu’il en soit de tout le matériel visible qui la conditionne dans le monde de la nature, l’histoire est faite avant tout du croisement et de l’emmêlement, de la poursuite et du conflit de la liberté incréée et de la liberté créée ; elle est comme inventée à chaque instant du temps par les initiatives accordées ou désaccordées de ces deux libertés, l’une dans le temps, l’autre hors du temps, et qui du haut de l’éternité à laquelle tous les moments du temps sont indivisément présents, connaît toute la succession d’un seul regard. Et la gloire de la liberté divine est de faire un ouvrage d’autant plus beau qu’elle laisse l’autre liberté le défaire davantage, parce que de l’abondance des destructions elle seule peut tirer une surabondance d’être. Mais nous autres, qui sommes logés dans la tapisserie, ne voyons que l’obscur enchevêtrement des fils qui se nouent sur notre cœur » (Jacques Maritain, Du régime temporel et de la liberté, Œuvres complètes, V, Éditions Universitaires – Editions Saint-Paul, Fribourg – Paris, 1982, p.346-347).

Nous sommes logés dans la tapisserie de l’histoire et entrevoyons des fils mystérieux et disproportionnés. Demandons à Dieu, dans notre prière, de démêler les fils tragiques et de nous aider à voir un peu clair. Ici se rejoignent par exemple notre prière pour la paix (pour la conversion des cœurs) et le processus synodal. A propos de ce dernier, les réponses nous sont maintenant parvenues, et j’ai reçu différents échos, parfois très beaux. Il s’agit pour nous demander à Dieu de nous éclairer sur le présent et l’avenir, alors que nous avons le nez pris dans les fils de notre tapisserie. Je vais vous écrire une lettre pastorale à propos des résultats diocésains de ce processus qui va continuer chez nous et dans toute l’Église.

+ Charles Morerod OP

Il se trouve que je vous écris le jour de la fête de S. Thomas d’Aquin, et je pense à un texte qu’il avait écrit et qui garde sa force « pérenne ». Il médite avec émerveillement sur le fait que « non point par la violence des armes ni par la promesse de plaisirs grossiers, et, ce qui est plus étonnant encore, sous la tyrannie des persécuteurs, une foule innombrable, non seulement de simples mais d’hommes très savants, est venue s’enrôler dans la foi chrétienne, cette foi qui prêche des vérités inaccessibles à l’intelligence humaine, réprime les voluptés de la chair, et enseigne à mépriser tous les biens de ce monde. Que les esprits des mortels donnent leur assentiment à tout cela, et qu’au mépris des réalités visibles seuls soient désirés les biens invisibles, voilà certes le plus grand des miracles et l’œuvre manifeste de l’inspiration de Dieu. Que tout cela ne se soit pas fait d’un seul coup et par hasard, mais suivant une disposition divine, il y a, pour le manifester, le fait que Dieu, longtemps à l’avance, l’a prédit par la bouche des prophètes, dont les livres sont par nous tenus en vénération, parce qu’ils apportent un témoignage à notre foi » (Somme contre les Gentils, Livre I, chapitre 6, Cerf, Paris, 1993, p.27).

« Le plus grand des miracles » me semble actuel… A bien des égards il est assez incroyable que l’on croie, que l’on ait la foi. Lorsque Paul Claudel s’est brusquement converti – le jour de Noël 1886 – il pensait, comme beaucoup de nos contemporains, que la foi était absurde. Et il s’est trouvé dans l’embarras de le penser encore (pour un temps) alors même qu’il était devenu croyant : « [M]es convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me semblait toujours le même trésor d’anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m’inspiraient la même aversion qui allait jusqu’à la haine et jusqu’au dégoût. L’édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n’y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j’en étais sorti. Un être nouveau et formidable avec de terribles exigences pour le jeune homme et l’artiste que j’étais s’était révélé que je ne savais concilier avec rien de ce qui m’entourait. L’état d’un homme qu’on arracherait d’un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger au milieu d’un monde inconnu est la seule comparaison que je puisse trouver pour exprimer cet état de désarroi complet. Ce qui était le plus répugnant à mes opinions et à mes goûts, c’est cela pourtant qui était vrai, c’est cela dont il fallait bon gré, mal gré, que je m’accommodasse. Ah ! Ce ne serait pas du moins sans avoir essayé tout ce qu’il m’était possible pour résister. Cette résistance a duré quatre ans » (Paul Claudel, Œuvres en Prose, « Bibliothèque de la Pléiade » 179, Gallimard, Paris, 1965, p.1010-1011).

Partageons cet étonnement. « Le plus grand des miracles » est plus frappant que la marche sur les eaux, et il change la vie.

+ Charles Morerod OP

Les vœux peuvent être tellement génériques qu’ils cachent mal une certaine incertitude sur ce qui est « espérable ». La nouvelle année commence en cours de processus synodal. Je nous souhaite de vivre, avec la grâce de Dieu, ce que nous indique S. Jean : « Voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit » (1 Jean 3,23-24) Au risque – bien accepté par moi-même – de me répéter, je ne veux pas dire au début du processus synodal ce qui doit être dit par les autres. Il reste que ce texte contient les éléments essentiels pour des vœux chrétiens : mettre notre foi dans le Christ, vivre comme il nous le demande, avec son Esprit. Je conclus avec une formule liturgique dont le contenu fondamental est souvent sous-estimé par nous-mêmes (puisque nous y ajoutons des salutations bien moins significatives) : qu’en 2022 aussi Le Seigneur soit avec vous. + Charles Morerod OP

Nous sommes en Avent : le Seigneur vient. Nous allons à sa rencontre, et nous ne le faisons pas seuls. Je vous le dis en méditant sur ce que S. Jean Chrysostome dit à propos de la rencontre de S. Pierre avec Jésus, favorisée par S. André : « [O]n ne dit pas que Pierre a cru aussitôt, mais que son frère le conduisit à Jésus pour le lui confier, afin que Pierre soit entièrement instruit par lui. Car l’autre disciple était là et participait à l’entretien » (commentaire de S. Jean, office de la fête de S. André).

Nous allons donc ensemble à la rencontre du Seigneur qui vient à nous, en nous soutenant mutuellement (de manière visible et invisible), pour le meilleur et pour le pire. Notre communauté traverse des tempêtes. Nombre de vous avez pu observer récemment mon souci, en l’interprétant souvent comme l’expression d’un poids « personnel » alors qu’il s’agit d’une inquiétude communautaire. La question de Jésus (à propos de sa deuxième venue) me touche comme jamais auparavant : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Luc 18,8). Ce n’est pas une demande rhétorique, et il ne serait pas « catholique » (c’est-à-dire selon le tout) de ne retenir du Christ que des aspects isolés selon les circonstances : il est présent tous les jours jusqu’à la fin des temps, mais trouvera-t-il la foi ? Il nous offre toujours sa miséricorde, mais nous offre aussi une meule au pied face au scandale des petits, de cet impact sur les autres qui me donne un vertige croissant. Si nous prenons au sérieux la demande de Luc 18,8, écoutons avec urgence ce que le S. Esprit nous dit de ce que nous sommes et de ce que nous devons être. C’est bien le sens d’un processus synodal sur la synodalité. Écoutons ensemble le Saint-Esprit sur ce que nous sommes et devons être… Et faisons-le dans chacune de nos communautés : depuis le 29 novembres les délais suisses pour la réponse dans les diocèses ont été adaptés aux délais mondiaux, et vous pouvez envoyer vos réponses jusqu’au 1er mars.

Le processus va durer. Il ne s’agit pas que d’un cycle national, puis européen, puis mondial, et d’une fin. C’est la vie de l’Église qui implique, ou qui est, une écoute permanente du Seigneur, ensemble. Dans ce contexte, on m’a fait remarquer – non sans quelque raison – que j’avais anticipé le processus synodal en entreprenant une nouvelle organisation diocésaine. Maintenant j’attends sans trop m’exprimer… Mais tout de même, je dois dire que la visite ad limina (visite des évêques suisses à Rome) a représenté un encouragement actif pour cette réorganisation, bien au-delà de ce que j’attendais. Ceci dit, nous ne demandons pas au Seigneur qu’une organisation. Appelons ensemble : « ‘Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ?’ (…) Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ?’ » (Marc 4,38.40).

+ Charles Morerod

J’attire votre attention sur deux thèmes abordés par ailleurs dans cette feuille diocésaine, et qui sont en partie liés.

Le dimanche 21 novembre a été retenu dans notre diocèse comme jour de prière pour les victimes d’abus sexuels. La recommandation dans l’Église universelle est qu’elle ait lieu le premier dimanche de Carême, mais différents éléments locaux (comme le fait que la plaque dédiée aux victimes ait été posée à la cathédrale le 23 novembre 2019) ont fait préférer fin novembre (elle a lieu chaque année le 18 novembre en Italie). Dans ce domaine, la prévention et l’indemnisation sont indispensables, mais notre prière est une réponse nécessaire demandée par une partie des victimes, et dont nous ressentons nous-mêmes l’exigence. Elle se situe dans notre dialogue avec Dieu sur cette question, et implique donc aussi notre conversion.

Vous voyez le lien avec le processus synodal, qui repose sur notre écoute ecclésiale (donc à la fois personnelle et communautaire) de l’Esprit Saint. Ce processus prépare un synode sur la synodalité, c’est-à-dire en fait sur ce qu’est notre Église et dans quelle mesure et de quelle manière nous y vivons ensemble. Sans vouloir regarder cette question uniquement à partir de la crise des abus, les questions posées en ce moment en France nous touchent aussi : tous les catholiques sont placés sur la sellette (attaqués dans leur famille et sur leur lieu de travail…) alors que la plupart se disent qu’ils n’ont participé ni aux abus ni à leur dissimulation. Cette mise en cause collective implique une participation active aussi aux décisions, ce qui me semble juste et serait d’ailleurs une aide pour les évêques… Voilà un aspect sur cette « synodalité » dont le sens semble tellement réservé aux spécialistes que beaucoup, à tort, ne se sentent pas aptes à participer. Les réponses locales doivent tenir compte des aspects locaux, sinon toute la démarche pourrait être menée à distance. Nous avons pu parler du processus de manière plus ample lors de différentes rencontres ces dernières semaines, et ce n’est pas fini. Je reprends ici le sage conseil de Mgr Bernard Sonney à la belle rencontre des prêtres à Annecy (et St-Jorioz), le 28 octobre : si la consultation locale n’a pas lieu en novembre, il est douteux qu’elle ait lieu peu avant Noël… Je vous encourage donc vivement, en gardant à l’esprit que nous ne nous arrêterons pas à cette phase initiale. Je me réjouis vivement des surprises qui vont apparaître.

+ Charles Morerod

En 2019 (consultation préalable), en 2020 (communiqué, repris en 2021) la Conférence des évêques suisses a signalé que, si elle ne pouvait accepter le projet de mariage pour tous en raison notamment des droits de l’enfant (et pas à l’enfant), sa position était réservée à cause de sens différents donnés au mot « mariage » : « Puisqu’en ce domaine, la compétence de l’Église catholique réside principalement dans le mariage sacramentel, la CES s’abstient de prendre position »[1]. Il est de plus en plus clair que le mariage civil a été influencé par la tradition chrétienne dans le passé, et l’est de moins en moins (bien qu’il reste l’idée de l’union de deux personnes – pas davantage – sur la base d’une décision prise librement). Le mariage sacramentel concerne directement les parents et les enfants que le couple a mis au monde. Nous devons prendre acte de cet éloignement progressif des significations et assumer paisiblement notre rôle propre dans le respect mutuel des domaines respectifs. L’influence de notre foi et de notre tradition sur la société se réduit dans de nombreux domaines, c’est un fait, et cela ne présente pas que des inconvénients si on écoute nos proches ancêtres qui ont eu l’impression que leur Église faisait peser un poids sur toute la société (nous en recevons l’impact en retour). En même temps, face à cette évolution culturelle générale, nous avons le devoir de nous demander ce que nous comprenons peut-être mal de notre propre foi, car les questions des autres finissent parfois par nous aider aussi : on nous rappelle volontiers que, dans le cas de Galilée, ceux que nous prenions pour des « ennemis » nous ont même aidés à comprendre la Bible…

Une autre question nous occupe : l’Église est-elle passivement soumise à l’État et à ses normes Covid ? Cette question est souvent adressée aux évêques (au pape aussi, d’ailleurs). Selon les mœurs helvétiques, les contacts sont d’autant meilleurs qu’ils sont respectueux et discrets, et la prise en compte des spécificités religieuses a nettement augmenté par rapport aux débuts de la pandémie. Nous avons bénéficié d’avantages que d’autres nous ont enviés, au nom de la liberté religieuse. Sur le fond, je voudrais mettre en évidence deux éléments : nous tenons absolument au respect de la conscience, en général et donc aussi pour les personnes qui refusent le vaccin (qui peuvent encore se faire tester et ont à leur disposition des célébrations sans certificat Covid). D’autre part le but de la politique fédérale (et des États voisins) est de limiter la diffusion de la maladie, qui touche à la fois des personnes et toute la société (c’est en touchant un grand nombre de personnes que le virus peut se développer et muter). La proportion de personnes atteintes de formes graves est effectivement très différente suivant que l’on est vacciné ou non. J’ajoute que nous avons une responsabilité spécifique : il y a bel et bien eu des cas où des rassemblements religieux ont été occasion de contamination, avec des morts (je peux mettre des noms sur cette affirmation). Les normes n’ont pas été décidées par les évêques, mais dans leur application je ne peux me résigner à un laxisme qui me rendrait responsable de la mort d’autrui. D’autres situations m’ont d’ailleurs montré que demander pour l’Église des normes différentes de celle de notre État de droit portait aussi à des problèmes.

Je suis inquiet de constater des rejets réciproques : sur les deux objets dont je parle ici, je vois des personnes qui rejettent violemment l’opinion opposée à la leur. Sur ce point, on voit que l’Évangile peut soutenir à la racine une société démocratique, l’amour même de l’ennemi fondant au moins un respect et une écoute mutuels.

+ Charles Morerod

[1] https://www.eveques.ch/mariage-civil-pour-tous/ Cf. aussi https://www.eveques.ch/mariage-civil-pour-tous-2/

En espérant que les conditions sanitaires le permettent, au moins pour les personnes vaccinées, notre processus synodal va commencer. Afin de favoriser une bonne participation, il aura lieu dans chaque Unité pastorale. Nous devons recevoir de Rome des questions à aborder : elles arriveront à la conférence épiscopale, qui devra éventuellement déterminer les modalités de la transmission (je ne sais pas si tout devra être transmis tel quel ou s’il faudra faire des adaptations). Ce qui est possible dès maintenant est notre préparation : je vous invite à prier pour ce processus, afin que ce soit l’Esprit Saint qui nous guide. La parole que nous y prendrons dépendra largement du silence qui la préparera.

Ayons une approche positive : nous pourrions nous lamenter en observant des statistiques, dont il faut certes tenir compte et dont nous avons déjà connaissance par notre propre expérience. Le but n’est pas une méditation morose mais la communication de la Bonne Nouvelle. L’apparition dans notre monde du Verbe fait chair est motif de joie : « Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David » (Luc 2,10-11).

Je reste frappé par la question d’un confirmand : « Ma question c’est pourquoi Dieu est jamais en personne mais par des sortes de ‘pass pass’ comme Jésus ». Eh bien qu’y répondons-nous ? Certes que Jésus est Dieu présent en personne, mais aussi nous sommes nous-mêmes des « sortes de pass pass » par lesquels Jésus est présent. Jésus peut dire à Saul « Je suis Jésus que tu persécutes » (Actes des Apôtres, 9, 5) alors que ce sont les disciples qui sont persécutés. S’il pourra nous dire à tous « dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25,40 ; ou le contraire en 25,45), c’est bien qu’il est présent en nous. Et c’est particulièrement vrai lorsque deux ou trois sont rassemblés en son nom (cf. Matthieu 18,20). Nous sommes le Corps du Christ, fait par l’eucharistie et qui fait l’eucharistie, comme le résumait le P. Henri de Lubac. Que le processus synodal fasse apparaître ce que nous sommes.

En fait le programme d’un processus synodal est la continuation de celui que résumait le Concile Vatican II : « Le Christ est la lumière des peuples; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église (cf. Marc 16, 15). L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde entier, en se rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission universelle. À ce devoir qui est celui de l’Église, les conditions présentes ajoutent une nouvelle urgence: il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ » (Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, 21 novembre 1964, § 1).

+ Charles Morerod

La morale n’attire pas, pour des raisons en partie nouvelles mais surtout permanentes à travers les siècles. Il ne s’agit pas que d’une éthique au sens le plus large, mais aussi de la réponse à un appel explicite de Dieu, car une libération peut apparaître comme un poids : « Dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : ‘Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! » (Exode 16,2-3). Nous ressentons tous parfois les exigences morales comme un poids, et d’ailleurs nous demandons au Père de ne pas nous laisser entrer en tentation.

Revenons aux bases de la morale chrétienne : toute la Loi, ainsi que les Prophètes, se rattachent à deux commandements : aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même (cf. Matthieu 22, 37-40). La racine de nos comportements est donc l’amour de Dieu, et la liturgie nous le rappelle activement : « Dieu éternel et tout-puissant, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ; Et pour que nous puissions obtenir ce que tu promets, fais-nous aimer ce que tu commandes » (oraison de la 30ème semaine du Temps ordinaire, je risque de me répéter dans quelques mois). En d’autres termes : ce que Dieu nous demande peut nous paraître pénible, mais nous l’aimons parce que nous aimons Dieu, tout en lui demandant de nous aider. C’est en méditant sur l’action de Dieu, en regardant notre Sauveur, que nous pouvons percevoir que son joug est aisé et son fardeau léger (cf. Matthieu 11,30).

+ Charles Morerod

Les conditions sanitaires semblent vraiment s’améliorer et l’espoir de pouvoir se réunir dans les Unités pastorales pour un processus synodal devient enfin réaliste. Dans un tel processus, je souhaite que beaucoup participent et, qu’ensemble, nous recevions ce que l’Esprit Saint nous communiquera. Je n’anticipe donc pas, mais il reste utile de percevoir dans quoi nous nous lançons. Nous sommes de plus en plus objets d’ignorance, ce qui peut aussi signifier de curiosité. Notre foi ne présentera guère d’intérêt si nous visons à la faire fondre dans une soupe commune, dans laquelle tout le monde nage déjà et où nous devons ajouter le sel de la terre … Demandons-nous sans cesse ce que nous faisons de la venue personnelle de la Lumière du monde : « Est-ce que la lampe vient pour qu’on la mette sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour qu’on la mette sur le lampadaire ? » (Marc 4,21)

Il est utile, à ce propos, de méditer la lettre écrite le 29 juin 2019 par le pape aux catholiques allemands : « L’évangélisation ainsi vécue n’est pas une tactique de repositionnement ecclésial dans le monde actuel, ni un acte de conquête, de domination ou d’expansion territoriale ; ce n’est pas une ‘retouche’ qui adapte l’Église à l’esprit du temps mais lui fait perdre son originalité et sa mission prophétique. L’évangélisation ne signifie pas non plus une tentative de récupérer des habitudes et des pratiques qui avaient un sens dans d’autres contextes culturels. Non, l’évangélisation est un parcours de disciple en réponse à l’amour pour Celui qui nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4,19) ; un parcours, donc, qui rend possible une foi vécue, expérimentée, célébrée et témoignée avec joie. L’évangélisation nous amène à retrouver la joie de l’Évangile, la joie d’être chrétiens. Il y a certainement des moments durs et des moments de croix, mais rien ne peut détruire la joie surnaturelle qui sait s’adapter, changer, et qui demeure toujours, comme une lueur, même légère, qui provient de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout »1.

En vue du repos estival, j’ai envie de vous reprendre un début de liturgie : « La paix soit avec vous ! »

+ Charles Morerod

1https://www.vatican.va/content/francesco/de/letters/2019/documents/papa-francesco_20190629_lettera-fedeligermania.html

Depuis la réflexion de la Conférence des évêques suisses sur cette question en décembre 2019, je vois comment je compte mettre en œuvre un processus synodal dans notre diocèse. J’envisage non pas une grande rencontre ou quelques grandes rencontres, mais une invitation large dans chaque Unité pastorale, permettant au plus grand nombre de participer. La pandémie a pour l’instant rendu ces rassemblements impossibles, mais nous espérons voir revenir la possibilité de rassemblements plus larges.

Que fait-on dans un rassemblement synodal ? Nous pouvons d’ores et déjà y réfléchir, en attendant des questions dont l’envoi général a été annoncé par le pape, ce qui peut avoir un impact sur la période de notre mise en œuvre.

Un thème souvent évoqué dans un tel contexte est celui du discernement des signes des temps, tel que présenté au Concile Vatican II : « [l]’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » (Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes, 7 décembre 1965, § 4). Ce texte introduit l’Exposé préliminaire sur « La condition humaine dans le monde d’aujourd’hui ». Cet Exposé préliminaire se conclut ainsi : « L’Église, quant à elle, croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l’homme, par son Esprit, lumière et forces pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu’il n’est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés. Elle croit aussi que la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se trouve en son Seigneur et Maître. Elle affirme en outre que, sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd’hui et à jamais. C’est pourquoi, sous la lumière du Christ, image du Dieu invisible, premier-né de toute créature, le Concile se propose de s’adresser à tous, pour éclairer le mystère de l’homme et pour aider le genre humain à découvrir la solution des problèmes majeurs de notre temps » (§ 10). Nous voyons des questions à la lumière de la réponse que Dieu nous donne en venant.

Nous ne sommes donc pas appelés à regarder comment nous adapter (comme si nos structures ou notre vocabulaire devaient retenir l’essentiel de notre attention et de celle des autres), mais à faire connaître de manière reconnaissable la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, suivant la recommandation de S. Paul : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche » (Philippiens 4,4-5).

Préparons-nous dans la prière, « Car le Très-Haut possède toute connaissance, il a observé les signes des temps, faisant connaître le passé et l’avenir, et dévoilant les traces des choses cachées » (Siracide 42,18-19). Dans nos projets concernant la demeure du Seigneur, rappelons-nous que « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » (Psaume 126 [127], 1). L’Église est animée par l’Esprit Saint, et c’est ainsi que l’on peut reconnaître en elle l’Évangile qui continue.

+ Charles Morerod

Comment souvent depuis plus d’un an, je me trouve à méditer sur l’impact psychologique et spirituel d’une pandémie qui nous éloigne les uns des autres et laisse planer une inquiétude diffuse sur l’avenir. L’impact psychologique est à la fois évident quant à son existence et incertain quant à son identification précise. L’impact spirituel est lui aussi difficile à cerner, d’autant qu’il n’est pas l’objet de la même attention. Il reste que la recherche spirituelle est bien présente, quoique souvent hors des « institutions » et centrée plus sur soi-même que sur un Dieu extérieur à nous et potentiellement exigeant (ce qui est un aspect de l’amour). Nous savons que les demandes spirituelles se font plus pressantes en ces temps où l’on a besoin de lumière.

Il n’est pas rare que la liturgie du jour tombe providentiellement. Eh bien c’est le cas quand je vous écris, et que la lecture de S. Clément de Rome (dans sa Lettre aux Corinthiens, office des lectures du 30 avril) illustre le lien entre le don que nous recevons de Dieu – sans lequel notre vie morale est impossible – et ce décentrement de soi qui nous permet un soutien mutuel : « Que le fort se préoccupe du faible, que le faible respecte le fort ; que le riche subventionne le pauvre, que le pauvre rende grâce à Dieu qui lui a donné quelqu’un pour compenser son indigence. Que le sage montre sa sagesse non par des paroles, mais par de bonnes actions ; que l’humble ne se rende pas témoignage à lui-même, mais qu’il en laisse le soin à un autre. Que celui qui est chaste dans sa chair ne s’en vante pas, sachant que c’est un autre qui lui accorde la continence. Songeons donc, mes frères, de quelle matière nous sommes nés ; qu’étions-nous donc, quand nous sommes entrés dans le monde ? À partir de quel tombeau, de quelle obscurité, celui qui nous a façonnés et créés nous a-t-il introduits dans ce monde qui lui appartient ? Car il avait préparé ses bienfaits avant même notre naissance. Puisque nous tenons de lui tout cela, nous devons lui rendre grâce pour tout. À lui la gloire pour les siècles des siècles. »

Demandons constamment l’aide de Dieu, sans laquelle aucun de nous ne peut éviter l’une ou l’autre dérive. Prenons conscience du don de Dieu, en ayant le regard fixé sur lui et sur l’abondance de ses dons. C’est ainsi que nous pourrons être vecteurs d’une joie tellement nécessaire.

+ Charles Morerod

Comment souvent depuis plus d’un an, je me trouve à méditer sur l’impact psychologique et spirituel d’une pandémie qui nous éloigne les uns des autres et laisse planer une inquiétude diffuse sur l’avenir. L’impact psychologique est à la fois évident quant à son existence et incertain quant à son identification précise. L’impact spirituel est lui aussi difficile à cerner, d’autant qu’il n’est pas l’objet de la même attention. Il reste que la recherche spirituelle est bien présente, quoique souvent hors des « institutions » et centrée plus sur soi-même que sur un Dieu extérieur à nous et potentiellement exigeant (ce qui est un aspect de l’amour). Nous savons que les demandes spirituelles se font plus pressantes en ces temps où l’on a besoin de lumière.

Il n’est pas rare que la liturgie du jour tombe providentiellement. Eh bien c’est le cas quand je vous écris, et que la lecture de S. Clément de Rome (dans sa Lettre aux Corinthiens, office des lectures du 30 avril) illustre le lien entre le don que nous recevons de Dieu – sans lequel notre vie morale est impossible – et ce décentrement de soi qui nous permet un soutien mutuel : « Que le fort se préoccupe du faible, que le faible respecte le fort ; que le riche subventionne le pauvre, que le pauvre rende grâce à Dieu qui lui a donné quelqu’un pour compenser son indigence. Que le sage montre sa sagesse non par des paroles, mais par de bonnes actions ; que l’humble ne se rende pas témoignage à lui-même, mais qu’il en laisse le soin à un autre. Que celui qui est chaste dans sa chair ne s’en vante pas, sachant que c’est un autre qui lui accorde la continence. Songeons donc, mes frères, de quelle matière nous sommes nés ; qu’étions-nous donc, quand nous sommes entrés dans le monde ? À partir de quel tombeau, de quelle obscurité, celui qui nous a façonnés et créés nous a-t-il introduits dans ce monde qui lui appartient ? Car il avait préparé ses bienfaits avant même notre naissance. Puisque nous tenons de lui tout cela, nous devons lui rendre grâce pour tout. À lui la gloire pour les siècles des siècles. »

Demandons constamment l’aide de Dieu, sans laquelle aucun de nous ne peut éviter l’une ou l’autre dérive. Prenons conscience du don de Dieu, en ayant le regard fixé sur lui et sur l’abondance de ses dons. C’est ainsi que nous pourrons être vecteurs d’une joie tellement nécessaire.

+ Charles Morerod

Nietzsche pose à propos des chrétiens une question qui doit rester comme un aiguillon : « [ils] devraient me chanter de meilleurs chants, pour que j’apprenne à croire à leur rédempteur : ses disciples devraient m’apparaître davantage rachetés/libérés »1. Certes, mais il ne suffit pas de la conscience de devoir se coller un sourire de commande sur le visage, d’autant qu’on nous le reprochera encore davantage (comme un indice sectaire). Nous demandons l’aide du Saint Esprit pour que la joie de la résurrection soit vraiment présente en nous, même dans les larmes qui font aussi partie de la vie chrétienne.

A cette question d’un philosophe allemand, j’aimerais ajouter une remarque d’un autre philosophe allemand, Dietrich von Hildebrand. Il critique vivement (pendant le nazisme) à la fois le nazisme et le communisme, et pour une raison commune : l’être humain ne peut pas être réduit à sa matière (le racisme nazi étant une forme de biologisme). Hildebrand montre le monde que l’on bâtit si on croit à la destinée éternelle annoncée par le Christ : « Selon la vision chrétienne, chaque homme possède une âme immortelle, qui est destinée à la réception de la grâce et à une communauté éternelle avec Dieu, et qui pour cette raison a une valeur supérieure à tout le reste du monde. La destinée des États, des nations, des peuples comme tels est incomparablement moins importante que le salut éternel d’une seule âme immortelle »2.

Songeons à ce que la bonne nouvelle de la résurrection signifie pour nous personnellement, mais aussi au fait que cette bonne nouvelle change le monde. Notre contribution semble quelque peu banale quand nous parlons de « valeurs chrétiennes » détachées de leur source (des « valeurs » sans que Jésus-Christ doive être cité), visant à aménager le monde sur la base d’une gentillesse qui n’attire pas plus qu’elle ne dérange. Mais si nous voyons toute personne comme aimée par le Fils de Dieu jusqu’à la croix, et invitée à une « communauté éternelle avec Dieu », alors les conséquences changent la face du monde.

Chaque année, redisons-le avec la prière que cela se réalise plus profondément en nous : Joyeuses Pâques !

+ Charles Morerod

 

  • 1« Bessere Lieder müßten sie mir singen, daß ich an ihren Erlöser glauben lerne: erlöster müßten mir seine Jünger aussehen! » (Also sprach Zarathustra, Zweiter Teil, Von den Priestern).
  • 2« Nach der christlichen Auffassung besitzt jeder Mensch eine unsterbliche Seele, die zum Gefäß der Gnade und zur ewigen Gemeinschaft mit Gott bestimmt ist und die darum einen höheren Wert besitzt als alles übrige auf Erden. Das Schicksal von Staaten, Nationen, Völkern als solchen ist unvergleichlich weniger wichtig als das ewige Heil einer einzigen unsterblichen Seele. » (Dietrich von Hildebrand, Memoiren und Aufsätze gegen den Nationalsozialismus 1933-1938, Mit Alice von Hildebrand und Rudolf Ebneth herausgegeben von Ernst Wenisch, Mainz: Matthias-Grünewald-Verlag, 1994, p.331).

Le 7 mars 321, il y a donc 1700 ans, l’empereur Constantin instaurait comme jour de repos le dimanche, en tant que jour du Soleil invaincu (Sol invictus, origine que l’on retrouve dans Sonntag ou Sunday, alors que « dimanche » – Dies Domini se réfère plus explicitement au Seigneur, au Christ ressuscité). C’est donc un anniversaire que nous sommes invités à fêter, durant ce Carême qui nous approche de Pâques. Certes le Sol invictus était une divinité païenne, et Constantin s’est approché pas à pas du christianisme. Il reste que le dimanche a marqué l’histoire en raison de l’empreinte judéo-chrétienne.

Le shabbat juif est un jour de repos hebdomadaire à plusieurs dimensions. Notre société en retient un aspect social, nécessaire et présent dans la religion juive : « Pendant six jours tu feras tes travaux, et le septième jour tu chômeras, afin que se reposent ton bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Exode 23,12). Ce repos entre dans le cadre général du renoncement à un profit, lié à l’attention aux pauvres : « Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu en engrangeras le produit. Mais la septième année, tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le produit; les pauvres de ton peuple le mangeront et les bêtes des champs mangeront ce qu’ils auront laissé. Tu feras de même pour ta vigne et pour ton olivier » (Exode 23,10-11). Cette dimension est conjointe à celle de l’imitation de Dieu : « Vous garderez bien mes sabbats, car c’est un signe entre moi et vous pour vos générations, afin qu’on sache que je suis Yahvé, celui qui vous sanctifie. (…) Entre moi et les Israélites c’est un signe à perpétuité, car en six jours Yahvé a fait les cieux et la terre, mais le septième jour il a chômé et repris haleine » (Exode 31,13.17).

Les premiers chrétiens ont assez vite transféré le jour de repos du septième jour au premier : « Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain » (Actes des Apôtres 20,7). Ce jour choisi en mémoire de la résurrection du Christ garde par ailleurs les caractéristiques du shabbat : repos divin, avec un impact social. Le lien de ces deux dimensions n’a rien perdu de son actualité, bien que le repos hebdomadaire se soit clairement sécularisé.

 Les idées de ne pas cultiver une année sur sept, et de ne pas travailler un jour sur sept impliquent le renoncement à un profit, à cause de Dieu et pour notre bien (notamment celui des plus pauvres). Cela inclut aussi explicitement le respect dû à la terre, pour qu’elle ne s’épuise pas. Renoncer à un profit individuel à court terme est indispensable à la vie de l’humanité maintenant et à sa survie à terme. Or le fait qu’un tel renoncement provienne de l’invitation à imiter la manière d’agir de Dieu n’est pas seulement un lien présent à l’origine : il garde une signification actuelle. Quelle motivation a-t-on pour renoncer à un profit maximal pour soi-même et à court terme, dans une optique sociale au sens large, c’est-à-dire aussi environnementale ? Plus largement, que fait-on du temps ? Cette question générale s’éclaire par son reflet dans la sous-question « que fais-je de mon dimanche » ?

Le jour du Seigneur, le temps avec le Seigneur, ne se perçoivent finalement qu’à la lumière de l’amour de Dieu. Je prends du temps pour lui, en réponse à son initiative (création et résurrection) que parce que je l’aime. Il n’est pas trivial de dire qu’on ne compte pas son temps pour qui on aime, car en sa présence le temps disparaît (on ne le remarque plus, ou alors il est concentré). Et ce temps passé avec le Seigneur aimé nous permet le recul indispensable face à cette autre étreinte que serait le tourbillon frénétique du temps. Le temps avec le Seigneur nous libère et libère l’autre de l’impact de notre propre fuite en avant. Bref, on ne perçoit le temps qu’à la lumière de l’amour, qui trouve sa pleine lumière dans l’amour de Dieu.

Ora et labora (« prie et travaille ») : les deux vont de pair. Notre monde a besoin de son poumon monastique.

+ Charles Morerod

Au risque de me répéter (d’aucuns me le diront alors que pour d’autres ce sera nouveau), je reste marqué par l’encyclique Spe salvi publiée le pape Benoît XVI en 2007 : « La condition droite des choses humaines, le bien-être moral du monde, ne peuvent jamais être garantis simplement par des structures, quelle que soit leur valeur. De telles structures sont non seulement importantes, mais nécessaires; néanmoins, elles ne peuvent pas et ne doivent pas mettre hors-jeu la liberté de l’homme. Même les structures les meilleures fonctionnent seulement si, dans une communauté, sont vivantes les convictions capables de motiver les hommes en vue d’une libre adhésion à l’ordonnancement communautaire. La liberté nécessite une conviction; une conviction n’existe pas en soi, mais elle doit toujours être de nouveau reconquise de manière communautaire » (§ 24).

Ce texte s’applique certes à des réalités différentes, par exemple à une réflexion sur la permanence de sociétés démocratiques, auxquelles nous tenons mais dont l’avenir n’est pas assuré si on n’y veille pas. Et certes le successeur de Pierre croyait à la promesse du Christ : « Tu es Pierre; et sur ce roc je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Matthieu 16,18). Cette promesse ne nous dispense pas de ce qui nous concerne : proposer à la liberté des personnes que nous rencontrons hic et nunc la Bonne Nouvelle, qu’on ne peut accepter si on ne l’a pas reçue de manière compréhensible et « attrayante », avec la grâce de Dieu. Il n’y aucun « automatisme » naturel de la foi, on ne naît pas chrétien. A nous de jouer le rôle d’André avec son frère : « Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: ‘Nous avons trouvé le Messie’ – ce qui veut dire Christ » (Jean 1,41).

+ Charles Morerod

Le changement d’année ne suscite pas en moi d’émotion, au moins depuis la fin de mon adolescence. Par contre l’évolution du temps, de la société et de l’Église me touche beaucoup. Ce que disait Vatican II il y a 55 ans n’a cessé de prendre du relief : « Le genre humain vit aujourd’hui un âge nouveau de son histoire, caractérisé par des changements profonds et rapides qui s’étendent peu à peu à l’ensemble du globe. Provoqués par l’homme, par son intelligence et son activité créatrice, ils rejaillissent sur l’homme lui-même, sur ses jugements, sur ses désirs, individuels et collectifs, sur ses manières de penser et d’agir, tant à l’égard des choses qu’à l’égard de ses semblables. À tel point que l’on peut déjà parler d’une véritable métamorphose sociale et culturelle dont les effets se répercutent jusque sur la vie religieuse » (Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, § 4.2).

Le temps s’était déjà accéléré depuis le 19ème siècle, et le mouvement s’est amplifié. L’accélération que remarquait Vatican II a augmenté très sensiblement. Pour ce qui nous concerne, il me semble que la pandémie nous met maintenant dans une situation que je pensais voir venir dans 10 ou 20 ans : elle occasionne à la fois des découvertes ou redécouvertes religieuses et un relatif éloignement (plus ou moins relatif mais aussi accéléré).

Je ne pense pas être le seul à trouver que nous sommes parfois pris dans un carcan trop lourd, bien que nous ne l’identifiions pas tous de la même manière… Cela a produit en moi une impatience qui fait bouger le couvercle de la marmite, parfois maladroitement (ce dont je suis désolé), et beaucoup d’entre vous voyez depuis quelques mois les mouvements du couvercle. Cela sera largement communiqué dans les mois qui viennent. En fait ce que je pressentais fin 2014, au terme de mes « Orientations et pistes pastorales » ne me semble plus devoir être renvoyé aux calendes grecques : « A terme il faudra trouver le moyen de réduire les structures à ce qui est vraiment nécessaire, pour que davantage de temps soit consacré à la mission, dans laquelle nous trouvons notre joie ! » (Désolé de me citer, je déteste ça, mais dans le fond si je ne le fais pas, personne ne le fera) La lenteur vient en partie de la nécessité de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : les « structures » ont cela de bon qu’elles nous permettent de nous rencontrer pour un discernement commun, et pour la joie d’être ensemble. Il reste que la lenteur ne peut masquer indéfiniment une urgence.

Il y a au terme de ces « pistes pastorales » ce qui en donne l’orientation : la joie. Cette joie ne vient pas de nous, mais de la présence du Seigneur. En observant ce qui amène des personnes à découvrir l’Église, je vois un élément fondamental et constant : la joie de la présence du Seigneur. Nous parlons de lui, mais en sa présence. Sans cette perception, il serait normal de partir. Le tournant de l’année est bien centré sur la présence du Seigneur : l’octave qui étend la fête de la Nativité jusqu’à la fête de la Mère de Dieu (montrant la plus grande « collaboration » humaine au mystère de cette Présence).

En fait de cadeau de passage, nous pouvons dire avec Pierre : « Ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! » (Actes des Apôtres, 3,6). C’est donc mon vœu pour vous.

+ Charles Morerod

Noël revient chaque année. En reconnaît-on la nouveauté ? Certes c’est une fois pour toutes que Celui qui est assis sur le Trône a déclaré : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21,5). Mais comment cette nouveauté se renouvelle-t-elle pour nous ?

Il semble qu’un nouveau dogme ait été admis à propos de Jésus, évoqué sous forme de refrain : « Il ne juge personne », « Il nous accueille comme nous sommes ». Je vois bien pourquoi on peut le dire. Jésus rencontre toutes sortes de personnes, sans se préoccuper de ce qu’on pourra penser de ses rencontres. Les exemples ne manquent pas : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est: une pécheresse! » (Luc 7,39) ; « La femme samaritaine lui dit: “Comment! toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine?” » (Jean 4,9) ; « Quoi? Il mange avec les publicains et les pécheurs? » (Marc 2,16) ; « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre! » (Jean 8,7) … Toutefois, si on met de manière exclusive l’accent sur cet accueil de tous comme ils sont, cette exclusivité revient à cimenter le statu quo, et Noël deviendrait un gentil aplatissement. C’est d’ailleurs ainsi qu’on voit trop souvent cette fête.

Il y a d’autres aspects dans la vie et la parole de Jésus, et on les cite moins : « Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas » (Matthieu 12,39) ; « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis » (Matthieu 23,13) ; « Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » (Matthieu 18,6) ; « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir » (Jean 8,44) ; « Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître! » (Matthieu 26,24). Inutile de dire que je ne me sens pas très à l’aise par rapport à ces textes, et le moment présent me place particulièrement devant une grave déficience de ma part : « J’étais un étranger (…) malade et prisonnier et vous ne m’avez pas visité » (Matthieu 25,43). Sans ces appels urgents, François d’Assise et Damien de Veuster n’auraient pas à eu à changer de vie.

Nous nous apprêtons à fêter la venue de Celui qui fait toutes choses nouvelles, dans ses aspects d’accueil et d’invitation à la conversion. Comment allons-nous présenter cette nouveauté à propos de quelque chose que l’on croit déjà connaître ? Souvent, une réponse est mieux écoutée quand on a commencé par se poser la question à laquelle c’est une réponse. Je prends donc deux exemples.

Dans les années 1980, les listes officielles d’organisations terroristes ne contenaient aucune organisation religieuse. Depuis lors, les organisations religieuses en constituent la majorité, et la religion apparaît dans l’actualité comme un facteur de danger (ce qui concerne aussi les chrétiens). Or Noël est la fête de la naissance de Celui qui a dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien! moi je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs » (Matthieu 5,43-44). Voilà une bonne nouvelle !

Nous savons combien la distribution des biens est de plus en plus inégale, et combien la pandémie accentue cette dramatique évolution. Nous entendons en même temps une attente de la part de personnes parfois éloignées de l’Église, comme en écho à ce que disait Jésus : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi » (Matthieu 19,21) ; « lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles » (Luc 14,13) … Montrons l’impact actuel de cette Bonne Nouvelle !

Merci à vous, et déjà Joyeux Noël !

+ Charles Morerod

Je reste marqué par la première lecture de la messe du 29 octobre : « Priez donc afin que je trouve dans l’Évangile pleine assurance pour parler comme je le dois » (Éphésiens 6,20). Dans la période sombre où nous nous trouvons, l’attente vis-à-vis de l’Église est très perceptible : on attend de nous des raisons d’espérer et une aide matérielle qui est liée à cette espérance. Demandons au Seigneur de nous inspirer, et de nous apprendre comment nous écouter les uns les autres.

L’expérience du confinement de ce printemps peut nous aider, y compris afin de ne pas répéter à l’identique ce que l’on peut améliorer, d’autant que pour l’instant la marge de manœuvre est plus grande. Lorsque le Conseil d’État genevois avait décidé, avant les mesures fédérales, de limiter les rassemblements à 50 personnes, l’option prise (le 11 mars) avait été de supprimer les messes dans le canton de Genève. Il y avait à cela des raisons pratiques qui doivent encore être prises en considération : comment limiter à 50 personnes les participants aux messes de la Basilique Notre-Dame, de la Mission lusophone et de la Mission anglophone, par exemple ? Il reste que ces trois lieux peuvent rassembler environ 4’000 personnes par dimanche, et que les fermer en laissant ouvertes les églises à moindre affluence signifie remplir ces plus petites églises, selon le principe des vases communicants. Ce problème n’existe pas partout, et il est difficile de trouver une règle générale. Il reste que la fermeture prolongée de certaines églises et l’interdiction des messes publiques a généré une forte tristesse, et a entraîné des plaintes en chaîne, malgré l’invitation à la communion de désir, à la prière à domicile etc. Il nous faut maintenant profiter aussi des insatisfactions pour progresser dans le domaine de la liturgie et de l’aide « sociale ».

Quant aux liturgies, des pistes se présentent, à vérifier selon les possibilités locales. Je pense par exemple à des célébrations supplémentaires (quand les Unités Pastorales disposent d’assez de prêtres, aussi compte tenu de leur âge), à la transmission simultanée dans des salles où on va distribuer la communion (solution aussi envisagée pour les confirmations). Il faut aussi profiter des messes de semaine : on peut inviter les personnes qui en ont la possibilité à y aller et à prier à domicile le dimanche, pour laisser la place dans les messes dominicales aux personnes dont les horaires de travail ne permettent pas de participer à une messe en semaine. Il est aussi possible d’organiser des liturgies de distribution de la communion (avec une brève liturgie de la Parole) le dimanche, hors des messes, mais en limitant toujours le nombre à 50 personnes et en aérant l’église entre chaque célébration. Rien de ceci ne peut être généralisé, mais il est bon d’envisager ces possibilités dans un esprit de service.

A certains endroits l’Église a contribué très grandement à la distribution de nourriture (on m’excusera de ne pas citer les endroits que je connais, car cela entraînera une certaine amertume aux endroits qui ne sont pas mentionnés…). Merci de tout cela. Par endroit l’impression a prévalu que « la commune a fait beaucoup et on n’a rien entendu de la paroisse » (citation de courriers assez abondants, concernant aussi les liens comparés des enseignants et des catéchistes avec les élèves). On a vu beaucoup de croyants participer en raison de leur foi à des initiatives prises hors du cadre de l’Église : c’est évidemment excellent, parfois plus efficace en raison des possibilités pratiques locales, et il est bon de ne pas nous limiter à nos propres murs. Retenons ces leçons et continuons !

Quelle spécificité nous donne la foi dans une période nouvelle pour la plupart des Suisses contemporains ? Je songe à la combinaison de la pandémie avec d’autres inquiétudes (réchauffement climatique etc.). Tout d’abord notre espérance est en Dieu ! Ceci dit nous sommes aussi susceptibles de tomber malades et de transmettre des maladies, et nous le prenons d’autant plus en compte que le christianisme n’est pas un pur spiritualisme : Dieu a créé le monde matériel, nous a faits avec un corps, le Fils de Dieu a pris chair… La vraie et bonne soif du Pain de Vie ne nous permet pas de négliger que les « accidents » du gluten et de l’alcool continuent à avoir des effets après la transsubstantiation, et que les chorales d’église ont été des lieux particulièrement « favorables » à la contamination (jusqu’à la mort…). On m’a accusé directement de manquer de foi, et je peux bien faire un examen de conscience, mais quand on doit prendre des décisions on doit aussi éviter d’avoir des morts sur la conscience.

J’ai été beaucoup plus long que je ne le souhaiterais et je n’ai pas assez dit. Nous voyons le cadre général, et d’ailleurs la foire aux questions est sans cesse mise à jour sur le site de l’évêché, avec l’aide de la Cellule diocésaine Covid-19 que je remercie et qui dépend aussi de toutes nos questions. Au bout du compte, à nous de voir ce qui est possible là où nous sommes, selon un sain principe de subsidiarité dont vous aurez encore l’occasion de m’entendre parler.

+ Charles Morerod

Nous le savons, mais ne le faisons pas toujours assez savoir (peut-être par humilité mal comprise) : il y a beaucoup de belles choses dans la vie de l’Église. Nous pouvons nous plaindre que d’aucuns se plaisent à relever dans la vie de l’Église seulement ce qui va mal, mais gardons-nous nous-mêmes d’oublier que « l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,15).

Cette considération générale introduit un exemple : la contribution des chrétiens au souci écologique. Nous savons l’écho de l’encyclique Laudato Si’ dans l’Église : initiatives paroissiales (avec l’aide de l’Action de Carême et d’autres institutions), réflexions dans les monastères, amplification de la compréhension anthropologique à l’Institut Philanthropos … L’écho de cette encyclique est aussi considérable hors de nos cercles habituels, et j’en ai vu de très nombreux exemples, y compris récemment. Des personnes qui n’ont jamais rien attendu de l’Église ont été heureusement surprises.

Notre temps s’essouffle en manque d’espérance. On entend largement ces questions : quel avenir a notre planète, est-ce que nous avons encore le droit de faire des enfants … ? Or nous avons une espérance : ce n’est pas la même chose de voir le monde avec ou sans Dieu. Le plus grand ennemi de notre avenir, c’est un égoïsme visant à court terme un profit personnel plus grand, alors que dans nos pays on doit plutôt viser le contraire. Pour entamer un virage nécessaire, il faut que la décision vienne de l’intérieur de nous, de ce lieu de toute décision qui est aussi un lieu de rencontre avec Dieu. Le pape le résume : « Toute solution technique que les sciences prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du monde si l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté » (Laudato Si’, § 200). On nous attend, montrons que la Bonne Nouvelle illumine tous les champs de la vie !

+ Charles Morerod

Être aimé de Dieu et pouvoir répondre à son amour, c’est beau et c’est au cœur de notre vie chrétienne. Jérémie en fait l’expérience : « Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi » (Jérémie 20,7). Pourtant, cet amour n’est pas facile, comme l’illustrent, dans le même verset, les « jérémiades » du prophète malgré lui … : « À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi ».

L’amour de Dieu n’est pas une consolation facile, au service de notre bien-être (comme le seraient d’autres consolations). Il y aurait par ailleurs une grande ambiguïté à nous rassurer un peu hâtivement en nous disant que si nous sommes exposés à la raillerie, c’est que nous sommes des disciples du Christ (alors que parfois cette raillerie est justement due au fait que nous le sommes trop peu).

Le modèle de l’amour de Dieu n’est pas le type de consolation qui nous vient immédiatement à l’esprit, mais nous le voyons sur la croix, réalistement désignée comme unique espérance (O crux ave, spes unica). Quand nous nous regardons, nous avons tant de motifs d’inquiétude, voire de désespoir si le regard s’attarde et s’approfondit. Ne nous arrêtons pas à nous-mêmes. Nous ne sommes le motif de l’espérance ni pour nous-mêmes ni pour les autres ; notre cierge baptismal nous appelle à être le reflet de la lumière, non sa source.

« La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jean 1,5). Je ne peux faire autre chose que montrer du doigt le Seigneur qui est notre espérance commune, et mon espérance s’accompagne de ce centuple que vous êtes (cf. Marc 10,30).

+ Charles Morerod

Que les critiques qu’on nous adresse (de manière très compréhensible) nous servent de miroir pour un approfondissement de ce que nous sommes. Plusieurs paroles de Jésus aident à cerner la question :

  • Faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes: car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C’est ainsi qu’ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges (Matthieu 23,3-5).
  • Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (Marc 2,17).
  • Vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le blé (Matthieu 13,29).

Outre que nous n’avons pas la clarté du regard de Jésus pour discerner l’ivraie, nous n’annonçons pas un Évangile en prétendant le vivre parfaitement nous-mêmes : nous nous l’annonçons à nous-mêmes en désirant de tout notre cœur le vivre, avec l’aide de Dieu, mais nous ne le proclamons pas du haut d’une soi-disant perfection déjà acquise (ce qui serait une trahison de l’Évangile).

En fait dans quelle Église pourrions-nous être ? Georges Bernanos nous pose la question de notre adhésion à un groupe parfait : « Si l’Église offrait le spectacle de la perfection, de l’ordre, la Sainteté y serait le premier privilège du commandement, chaque grade dans la hiérarchie correspondant à un grade supérieur de sainteté, jusqu’au plus saint de tous, Notre Saint-Père le pape, bien entendu. Allons! vous voudriez d’une Église comme celle-ci? Vous vous y sentiriez à l’aise? Laissez-moi rire, loin de vous sentir à l’aise, vous resteriez sur le seuil de cette Congrégation de surhommes, tournant votre casquette entre les mains, comme un pauvre clochard à la porte du Ritz ou du Claridge » (Georges Bernanos, Les prédestinés, Seuil, Paris, 1983, p.13).

Nous ne proposons ni à nous-mêmes ni aux autres une religion de la perfection démontrable acquise grâce à un effort continu : cette aide apparente serait la recette du désespoir. Que Dieu nous garde de chuter, qu’il nous relève de nos chutes, et que cette double expérience fasse croître en nous la miséricorde ; que du pardon reçu surgisse le pardon offert. Les foules étonnantes venues aux célébrations de l’année de la miséricorde avaient montré où se trouve la soif.

+ Charles Morerod

Dans mon mot de juin pour cette même feuille diocésaine, j’ai suggéré que les paroisses récoltent de la nourriture pour la distribuer. Cette initiative m’a valu de vifs remerciements (le jour-même, d’une caissière du supermarché où je faisais mes courses), mais aussi des questions gênées des responsables des paroisses : « Comment faire ? ». Ces questions me sont aussi parvenues indirectement par des personnes qui organisent une distribution de nourriture (en l’occurrence à Fribourg, mais les lieux sont heureusement multiples) : cette distribution complexe demande une coordination. Distribuer à des centaines de personnes des sacs dont le contenu est unifié, conforme aux normes des services sanitaires cantonaux, si possible en disposant de locaux où la nourriture peut être rassemblée (éventuellement par récolte d’invendus) demande une infrastructure et une organisation au-delà des possibilités de la plupart de nos paroisses. J’y vois une belle possibilité pour les croyants et les paroisses de collaborer avec d’autres dans le souci de ce bien commun essentiel qu’est la nourriture. Nous pouvons y collaborer individuellement, par le soutien organisé de nos communautés, et par exemple en mettant des locaux à disposition.

Nous sortons d’une période de confinement et entrons dans une période habituellement consacrée aux vacances… Je vous souhaite un temps paisible (moins loin que prévu, pour beaucoup de nous).

+ Charles Morerod

Durant le temps pascal, nous aurons donc pu nous rassembler visiblement au moins pour la Pentecôte. C’est une joie et une consolation de l’Esprit Saint ! C’est aussi un grand travail qui arrive dans nos paroisses, et je remercie vivement toutes les personnes (notamment les sacristines et sacristains) qui se mettent de grand cœur à préparer les églises à des liturgies respectueuses du droit à vivre à la fois en son âme et en son corps, puisque notre religion de l’incarnation inclut ces deux dimensions. Je remercie aussi toutes les personnes et les paroisses qui ont pu, à court terme et non sans difficulté, participer à la récolte de nourriture ; ce signe est clairement perçu hors de nos murs : notre vie chrétienne personnelle et communautaire ne tient pas compte que de la soif spirituelle (là encore : nous sommes une religion de l’incarnation), mais aussi de la faim matérielle. Certes nous déléguons l’aide sociale à l’État et à des organisations spécialisées, mais si nous devions déléguer cet amour urgent du prochain à notre seul porte-monnaie, nous cacherions une face de l’Église, qui pour beaucoup est d’ailleurs la seule encore crédible.

Personne ne sait de quoi sera fait l’avenir : la période où nous sommes nous aura appris que certaines évidences étaient illusoires, et cela concerne toute la société. Nous nous sommes tous interrogés sur notre mode de vie autrefois « normal », et la manière de continuer. Personnellement je compte bien ne pas reprendre tout-à-fait comme avant, et j’espère que nous pourrons changer nos rythmes et nos habitudes. Il ne s’agit pas que d’une stratégie humaine : Dieu sait, demandons au Saint Esprit de nous guider.

Je me réjouis d’avoir de nouveau l’occasion de vous rencontrer !

+ Charles Morerod

A très juste titre, et fort heureusement, beaucoup demandent de recevoir l’eucharistie, et disent que parler de communion de désir ne suffit pas. C’est une heureuse question : si ce désir ne s’exprimait pas, il n’y aurait pas vraiment désir, donc pas non plus communion de désir. J’espère bien sûr que nous pourrons aussi vite que possible reprendre de vraies liturgies, en respectant des mesures de sécurité qui risquent de durer très longtemps. Mais ces décisions ne relèvent pas d’abord de nous. Notre devoir citoyen illustre la relation entre nature et grâce, ou entre foi et raison. Avoir la foi ne dispense pas d’observer les règles sanitaires ; comme disait Jacques Maritain, il faut « distinguer pour unir ».

Pendant ce temps notre vie chrétienne ne cesse pas et peut montrer sa réalité sur bien des plans, outre la prière personnelle et familiale. Bien que la Suisse soit moins touchée que certains de ses voisins (notamment l’Italie et la France), l’absence de revenus nécessaires plonge des gens dans la misère, voire la faim, et cela risque fort d’augmenter rapidement. Les systèmes d’aide sociale ne peuvent pas prévoir tous les cas, et même l’État compte sur nous pour trouver et aider ces marges. A nous d’être proches de ces personnes. Et ce n’est bien sûr pas seulement des personnes qui ont faim que nous devons être proches, mais aussi des personnes seules ou pas assez seules (confinées en famille). On me demande si les prêtres travaillent encore, maintenant qu’il n’y a plus de messes. Certes le prêtre ne fait pas que célébrer des messes et il n’y a pas que des prêtres qui travaillent dans l’Église, mais il reste que nous pouvons profiter de l’occasion pour développer de nouveaux moyens de contact, comme je sais que beaucoup le font : par exemple appeler des fidèles et les inviter à prendre l’initiative de nous contacter. Là où on a eu la bonne idée de les maintenir, les feuilles dominicales sont très appréciées. Vous pouvez aussi partager des intentions de prière, comme nous le faisons maintenant sur le site du diocèse.

+ Charles Morerod

Nous ne nous attendions pas à vivre une situation comme celle que nous connaissons actuellement, avec ses drames et ses héroïsmes. Les drames sont d’abord les formes aiguës de la maladie, et les décès (avec des enterrements sans la présence des amis), mais aussi le renvoi d’autres soins, les soucis de fermetures d’entreprises et de perte de travail, des tensions familiales… Des catégories professionnelles prennent des risques considérables pour le bien commun : évidemment le personnel soignant, mais aussi les caissières, les chauffeurs de bus, les policiers, les ouvriers de toute sorte, les nombreux services de nettoyage, etc.

Les personnes qui souffrent le plus de cette situation sont les malades ou les personnes âgées, qui ne peuvent plus recevoir de visite (de leur famille, mais aussi des aumôniers…). Or s’il y a un désir humain et chrétien fondamental, vis-à-vis des personnes qui souffrent, c’est précisément d’être avec. Le christianisme est une religion communautaire et nous ne pouvons plus nous rassembler (ce qui est juste, puisque tout rassemblement favorise la diffusion d’une maladie parfois mortelle, mais douloureux). Nous ne pouvons même pas fêter Pâques ensemble.

Que cette situation qui ne dépend pas de nous nous permette de prendre et/ou de garder des habitudes, à commencer par celle de lire la Parole de Dieu. Quand on ne peut assister à la messe directement, on peut méditer (aussi en famille) les lectures de la messe du jour, par exemple. Et bien sûr lire d’autres lectures, prier le chapelet, la liturgie des heures etc. Je reçois de belles nouvelles de ce genre, ces jours. Nous pouvons aussi prendre conscience du fait qu’un nombre considérable de croyants, notamment âgés, participent « à distance » à nos communautés, de manière habituelle : ne pouvant plus sortir, ils regardent des messes télévisées, prient chez eux, et sont ainsi des piliers cachés de nos communautés. Maintenant nous le devenons tous un peu… Demandons-nous, durant cette période de durée imprévisible, comment nous reprendrons ensuite la vie de nos communautés, gardant l’expérience de la foi enracinée dans une certaine solitude et profitant des réflexions que nous aurons eu un peu plus de temps pour nous faire.

Même lorsque nous n’avons plus la joie et le réconfort de la prière au même endroit, notamment des liturgies pascales, nous ne sommes ni seuls ni éloignés : le Saint Esprit est répandu dans nos cœurs, nous unit et nous inspire. Quand on est proche de Dieu, on est proches les uns des autres. Si l’on croit que la vie est un don de Dieu, chaque instant a un sens que Dieu connaît : demandons-lui de nous aider à le vivre dans la foi et la prière, et ce sera un temps béni. Et nous pouvons rester en contact, par exemple téléphoner ou envoyer des messages à des paroissiens confinés…

La communion de désir est une réalité de grâce, et nous pouvons la vivre le Jeudi-Saint en nous inspirant des communautés de chrétiens japonais qui ont attendu l’eucharistie pendant deux siècles et demi. Le Vendredi-Saint nous voyons à quel point Dieu est avec nous (Emmanuel) ; nous avons des croix chez nous : nous pouvons les vénérer ! Tout en implorant la sortie de notre désert, nous pourrons recevoir la joie de la résurrection : Christ est vraiment ressuscité, et cela change toute la perspective de notre vie. Je peux donc vraiment vous dire : Joyeuses Pâques !

+ Charles Morerod

Être fidèle à son engagement

Récemment quelqu’un m’a dit que pour accepter le célibat sacerdotal il faut être ou homosexuel ou un utopiste qui déchantera. Eh bien je me suis demandé où je devais me situer moi-même dans ce binôme, et je n’y entre pas. En fait je formulerais la question autrement (et elle est indépendante de l’orientation sexuelle) : nous pouvons vivre nos engagements dans la mesure où nous sommes portés par l’enthousiasme de notre foi, de notre amour de Dieu, de notre joie à transmettre l’Évangile. Le temps qui passe, avec la triste observation de l’indifférence qui entoure notre proclamation, peut fatiguer cet enthousiasme : soit il s’approfondit, soit il s’érode, parfois au point de disparaître. Il me semble que si l’atténuation de l’enthousiasme s’accompagne d’une double vie, on peut et doit essayer de retrouver la flamme initiale (appelée à augmenter), en se faisant aider, et que sinon on finit par partir (si on le peut). Un tel départ peut aussi être l’occasion d’un nouveau départ dans la foi, comme nous avons tous pu le voir parfois, car Dieu ne nous abandonne pas. Il peut être salutaire, par amour de la vérité.

Jamais je n’ai eu le moindre goût pour une quelconque chasse aux sorcières, ni pour une curiosité sur la vie personnelle d’autrui. Je pense souvent à la remarque de John Henry Newman, canonisé en même temps que Marguerite Bays, lorsqu’il a refusé que des étudiants anglicans l’accompagnent à Littlemore (où il se retirait pour méditer sur son éventuel passage à l’Église catholique) : « Mon grand principe a toujours été ‘Vivre et laisser vivre’ » (« My great principle ever was, Live and let live », Apologia pro vita sua, Part 4. History of My Religious Opinions). De ce point de vue je fais confiance à chacun pour voir comment vivre ou retrouver la fidélité à ses engagements (avec de l’aide), sans d’ailleurs sous-estimer la valeur du ministère d’un prêtre en difficulté, ni l’opportunité de croître en humilité (qui se croit parfait peut être écrasant). Il reste que l’évangélisation, telle qu’entreprise par les prêtres, est directement liée à un don de soi par amour de Dieu et de son prochain : je ne suis pas le seul de nous à pouvoir dire que je ne regrette nullement ce don, et que je ne peux le vivre qu’en comptant sur l’aide de Dieu.

Et si beaucoup d’entre vous avez été choqués ou au moins frappés de voir que j’avais affirmé passer de la confiance à la méfiance (en fait, « méfiance, ou prudence »), sachez que je tiens à vous faire confiance !

Soutenons-nous mutuellement, par la prière et le dialogue confiant. Je suis d’ailleurs à votre disposition.

+ Charles Morerod

L’Évangile proclamé dimanche dernier m’a frappé à la manière de l’Évangile : on connaît déjà mais ne connaissait pas vraiment (et ce sera encore vrai à la prochaine lecture). Jésus dit : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche » (Matthieu 4,17). La suite immédiate de cet appel, c’est que Pierre, André, Jacques et Jean abandonnent tout et suivent Jésus.

Voilà donc comment on devient disciple. On commence par voir Jésus et la proximité du Royaume de Dieu : à nous de demander de discerner la présence du Royaume, car il est discret. Ensuite personne n’est né chrétien (même en naissant dans une famille chrétienne et en étant baptisé enfant) : on ne l’est qu’en se tournant constamment vers le Christ, ce qui implique entre autres de ne pas nous prendre nous-mêmes pour le centre (suivant le centre choisi, on aura des types de « royaumes » très différents, des sociétés où la place des marginaux sera radicalement différente). Prendre le Christ pour le centre, c’est tout voir (mon prochain, mais aussi moi-même) à la lumière du Christ qui donne sa vie pour nous.

Vivons cet Évangile comme un appel à reconnaître, avec l’aide de l’Esprit Saint, les beaux signes de la présence du Royaume de Dieu, et sur cette base à désirer toujours davantage notre propre conversion. Je crois que si nous voyons beaucoup de choses tristes dans ce monde, nous voyons surtout de grands signes d’espérance (discernés aussi à travers les motifs de tristesse) et de joie.

+ Charles Morerod

Le Fils de Dieu s’est fait homme. Le temps de Noël est l’occasion de nous demander ce que cela change, aussi personnellement : quelle différence pour moi ? Je dois dire que cette question m’a assailli lorsque je me suis trouvé face à des prisonniers, pour des messes de Noël : on voit qu’ils attendent beaucoup, est-ce que je vais simplement leur offrir une pause avant qu’ils reprennent la même vie pénitentiaire ? Eh bien parfois le Saint Esprit vient à notre aide, et je ne leur ai pas dit ce que j’avais prévu. Je me suis rappelé de l’éloge d’un prêtre par les passagers d’un train menant au lieu de son enterrement : « Quand on le voyait, on voyait Jésus ! » Bel éloge funèbre, mais aussi profonde vérité sur la raison pour laquelle le Fils de Dieu s’est fait homme : c’était pour que nous puissions recevoir la vie de Dieu, qui nous est donnée à notre baptême ; et à chaque eucharistie nous devenons ce que nous recevons. Nous devenons le Corps du Christ, et c’est une réalité communautaire et personnelle à la fois. Jésus peut dire à Saul « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu » (Actes des Apôtres 9,4) et nous dira « dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25,40) et « dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait » (Matthieu 25,45). C’est notre vocation : que quand on nous voit, on voie le Christ.

Voilà une perspective à offrir à des prisonniers : il ne s’agit pas seulement de « compenser un peu », en espérant une réinsertion incertaine. C’est parfois parce qu’un but est trop limité – à notre mesure – qu’on ne l’atteint pas. Le chrétien est appelé à être alter Christus (un autre Christ), et cela n’est impossible ni au prisonnier ni à nous, car ce n’est impossible qu’à notre mesure, si nous rappelons de l’incarnation elle-même et de la taille du chameau : « Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu » (Luc 18,27).

Ne réduisons pas Noël. Ne réduisons pas notre espérance et l’espérance que nous offrons. Le Fils de Dieu ne s’est pas fait homme pour saupoudrer de pauses religieuses une vie qui reste la même que s’il n’était pas venu. Il est venu pour nous donner sa vie. Acceptons de la recevoir et de la vivre.

+ Charles Morerod

Notre monde est marqué de bien des inquiétudes, que je partage d’ailleurs. Cette inquiétude est mêlée d’espoirs variés (par exemple : que de nouvelles découvertes scientifiques permettent de répondre aux nouvelles questions). Dans cette situation l’espérance chrétienne ne justifie pas une résignation, mais apporte la lumière, « grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut » (Luc 1,78).

Le Temps de l’Avent est un temps d’une espérance qui s’appuie sur la réalisation de promesses anciennes, qui nous sont déroulées chaque dimanche de l’Avent. Méditons sur le passage de l’attente initialement exprimée dans ces textes, et le sens qu’ils prennent à la lumière du Christ (ces textes reviennent dans l’Évangile et dans notre liturgie) :

1er dimanche : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la Maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : ‘Venez ! montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers.’ Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur » (Isaïe 2,2-3).

2ème dimanche : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur » (Isaïe 11,1-2)

3ème dimanche : « Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride » (Isaïe 35,5-6).

4ème dimanche : « « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous) » (Isaïe 7,13-14).

Certes tout n’est pas pleinement réalisé. Nous n’en sommes pas encore tout à fait au stade où « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble » (Isaïe 11,6). L’Avent précède certes Noël, mais aussi le Vendredi Saint ; nous ne sommes pas encore à Pâques. Mais l’accomplissement déjà réalisé des promesses anciennes soutient notre foi dans la réalisation encore à venir. Notre espérance chrétienne est un don que nous recevons pour le transmettre à un monde inquiet.

+ Charles Morerod

Il y a des célébrations que l’on confond, et que l’on s’est un peu résigné à confondre. C’est typiquement le cas de la Toussaint et de Célébration des défunts. On espère d’ailleurs que beaucoup de ces défunts soient fêtés aussi à la Toussaint. Ceci dit, dans l’ensemble de nos activités il me semble que le ministère des funérailles est peut-être celui qui nous vaut le plus de remerciements. Nous avons probablement tous pu l’expérimenter : des personnes qui ont très peu de contact avec l’Église citent très volontiers et avec grande émotion l’accompagnement qu’elles ont pu trouver auprès de l’Église, l’empathie et le témoignage de foi dans des rencontres imprévues mais nécessaires. Il est tellement précieux de ne pas être laissé seul dans la détresse, et la résurrection est au cœur de notre foi. Dans mes contacts variés je reçois souvent des remerciements à ce propos, et j’ai envie de les transmettre et reprendre : merci du temps donné aux personnes en deuil !

+ Charles Morerod

Nous entrons dans un mois missionnaire extraordinaire, décidé par le pape. Nous le commençons avec la fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, cette patronne des Missions entrée au Carmel à 16 ans et morte à 24 ans : sa mission a été le don de soi en réponse au don de Dieu, dans sa vie quotidienne au Carmel. J’ai tendance à voir dans la mission de la « petite Thérèse » l’illustration de l’impact de ce que disait la « grande Thérèse » : « Quien a Dios tiene, nada le falta, solo Dios basta » (à qui a Dieu rien ne manque, Dieu seul suffit). La première condition de la mission, c’est d’être avec Dieu, même loin de tous les regards.

Nous sommes en mission dans un monde éclaté, submergé par une abondance de biens et d’idées. Je médite en voyant la diversité (je ne dis pas « dispersion ») des questions qu’on nous pose. Je pense par exemple à l’extrême diversité des questions posées par des confirmands (il faut répondre à toutes, mais certains s’intéressent peu à celles des autres, leurs mondes intérieurs sont différents).

Dans ce monde éclaté, notre mission offre un centre, et les questions variées que nous recevons de bien des manières illustrent la recherche de Dieu, ou la question de « Dieu et moi » / « Dieu et nous ». En d’autres termes : on cherche une boussole spirituelle, l’Église a-t-elle quelque chose à dire à ce propos, ou doit-on évidemment chercher ailleurs ? A cet égard, il est troublant que beaucoup de jeunes en recherche de spiritualité n’imaginent même pas que l’Église catholique puisse avoir quelque chose à dire à ce propos. Or la mission implique justement que nous voyions et permettions de voir avec le regard de Dieu : « la foi en Jésus Christ nous donne la juste dimension de toute chose, en nous faisant voir le monde avec les yeux et le cœur de Dieu ; l’espérance nous ouvre aux horizons éternels de la vie divine à laquelle nous participons vraiment ; la charité dont nous avons l’avant-goût dans les sacrements et dans l’amour fraternel nous pousse jusqu’aux confins de la terre ».1

Je trouve un exemple de la mission initiale dans la rencontre de Simon avec Jésus : « André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit : ‘Nous avons trouvé le Messie’ – ce qui veut dire Christ. Il l’amena à Jésus. Jésus le regarda et dit : ‘Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Céphas’ – ce qui veut dire Pierre » (Jean 1,40-42). Simon a été amené à Jésus et cette rencontre l’a changé. Je me souviens aussi de la réponse d’une étudiante à qui je demandais (dans un restaurant de Genève) pourquoi elle voulait être baptisée : « A cause de mes amis je vais à l’église. Je lis l’Évangile. Je vois Jésus, je l’aime, je veux être avec lui ».

Parmi les amis qui peuvent nous conduire au Christ, demandons l’aide de Marguerite Bays : c’est aussi son rôle, chez elle.

+ Charles Morerod

1 Message du Pape pour la Journée Mondiale des Missions 2019

Puisque le mois de septembre va se terminer peu après la fête des saints archanges Michel, Gabriel et Raphaël, nous pouvons méditer un peu sur le rôle de ces acteurs discrets de nombre d’événements bibliques (notamment Gabriel à l’Annonciation). Ce que nous pouvons dire assez clairement dans la foi, c’est qu’ils peuvent agir intelligemment dans le plan de Dieu, notamment comme « messagers » (puisque c’est le sens de leur nom général). Et que Michel nous défend et Raphaël soigne. Mais cela est aussi l’occasion de penser à la différence entre les anges et nous, car la confusion inclut un risque : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (Pascal, Pensées VI : Les philosophes, Lafuma 358). Prétendre être purement spirituel expose à une rapide déconvenue. Il y a beaucoup de matériel dans notre religion, et ses rites sont souvent perçus comme trop peu spirituels. Mais que dire alors de l’incarnation et de la résurrection de la chair ? Dans sa relation avec nous, Dieu sait que nous ne sommes pas des anges et il tient compte de notre dimension matérielle et du rôle de nos sens ; ce n’est pas insuffisance de sa part, mais signe de son amour prévenant qui prend en considération nos insuffisances.

+ Charles Morerod